Coup de cœur et coup au cœur
Ressortir d’un spectacle KO debout, avec une énorme difficulté à émerger de la vague d’émotions qui m’a submergée, à retrouver le fil de mes idées et de mes mots, m’arrive rarement, en tout cas avec la même intensité.
Un Mardi sur deux m’a renvoyé dans mon vécu, a fait ressurgir des visages, des images, celles de ‘personnes âgées’ que j’ai accompagnées ou soignées quelque temps.
J’ai assisté, désarmée, à leurs pertes de repères et à l’effilochage de leurs souvenirs.
J’ai observé, spectatrice impuissante, leurs tentatives pour rembobiner vaille que vaille le fil de leur vie.
Je les ai entendues regretter tant de choses (compagnon, ami, famille, chien, objets précieux …).
Je les ai vues se raccrocher de toutes leurs forces aux quelques brides qu’il leur restait de leur passé.
J’ai essuyé leurs larmes amères face à un sentiment de plus en plus profond de solitude et d’abandon, leurs craintes d’encombrer leurs proches (s’il leur en restait).
J’ai essayé de combattre leur impression d’être inutile, leur manière de s’accuser, de s’excuser d’être encore en vie, d’être devenus des des gêneurs.
J’ai senti les regards suppliants ou quémandeurs d’une seconde d’attention, d’un petit geste, d’un sourire, d’une caresse sur la joue…
Un mardi sur deux est bien plus qu’un rappel, qu’une vérité qui rejaillit (malgré probablement d’énormes efforts inconscients pour l’enfouir au plus profond).
Le texte de Christian Dalimier est, derrière la fine observation d’une des conséquences du vieillissement, un petit bijou de sensibilité et de tendresse bourrue.
Petits instantanés de vie soigneusement choisis, petits ‘déjà vus’, sans pathos, sans forcer, mais sans cesse sur le fil d’une réalité douloureuse jamais exagérée, magnifiée ou déformée, Un Mardi sur deux nous transporte dans l’hôtel (comme l’appelle Madeleine pour ne pas prononcer le mot hospice ou mouroir) Les Papillons, le long de ses froids couloirs, à la rencontre d’une femme attachante (magistrale Nicole Valberg) qui se bat contre sa mémoire vacillante et celle de sa visiteuse bénévole, qui puise dans leurs tête-à-tête l’énergie pour lutter contre le chagrin d’amour qui la mine (formidable Laetitia Reva).
Sur une scène vide, avec pour seul secours une rambarde pour encore s’accrocher ou se retenir, les deux femmes ne sont qu’expressions, douleurs, silences et pudeurs.
Si l’on salue l’excellente prestation de Laetitia Reva, c’est l’immense travail, l’interprétation magnifique et ‘subjuguante’ de Nicole Valberg qu’il faut applaudir.
Du geste, du regard, d’un tombé d’épaule, d’un pas plus traînant, elle nous fait vivre, voir, percevoir la lente chute dans l’oubli, le lent effacement de la mémoire de Madeleine.
Un spectacle à voir et à ressentir pour, peut-être, mieux comprendre nos proches, nos personnes âgées, pour mieux leur tendre la main, les aider, les écouter et arrêter de les abandonner dans l’isolement austère et souvent trop impersonnel des maisons de repos et autres lieux qui leurs sont désormais réservés.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 08-08-2016
Festival Royal de Théâtre de Spa
Présentation du spectacle :
Résumé :
Madeleine est assise au bord du lit dans sa résidence « Les Papillons ». Un mardi sur deux, Evelyne lui rend visite. La première lutte pour retrouver la mémoire qui vacille, l’autre souffre encore d’une histoire d’amour sans lendemain.
L'affiche :
De Christian Dalimier
Avec Laetitia Reva et Nicole Valberg
Mise en scène : Christian Dalimier assisté de Valériane De Maerteleire