Une interview va ouvrir les portes du passé, faire rouvrir les plaies noirâtres que tous pensaient à jamais cicatrisées.
Jean-Marie Piemme nous offre un texte de toute beauté. Il mélange les impressions et l’action. D’un côté donc, ces petits mots que chacun va nous dire, nous glisser à l’oreille comme autant de confidences, de petites pensées fugaces et de l’autre une ambiance lourde, quasi comme dans un roman policier où les faits vont petit à petit se mettre en place, dévoiler l’Indicible, le drame dans toute son horreur.
Avec en arrière-plan l’épineux et douloureux sujet des guerres civiles et de leurs cortèges d’atrocités, avec les bourreaux et les victimes, trop souvent à rôles interchangeables d’ailleurs, les mots de Piemme sont d’une profondeur incroyable. Il les manipule avec maestria pour leur donner une aura de poésie, pour nous permettre de visualiser le décor, de ressentir l’émotion ambiante.
Sur une scène vide ou presque avec juste quelques banquettes et un piano, il nous donne l’impression d’être au bord d’un lac, d’entendre le vent agiter doucement les feuilles des arbres. Cette vie qu’il insuffle dans le moindre petit mot nous donne des moments très forts, quand les acteurs nous parlent des souffrances endurées pendant la guerre, des horreurs vécues, du besoin de se souvenir et du besoin d’oublier, du sentiment d’être déjà mort et de l’envie de vivre. En racontant leur calvaire, le couple (Valérie Lemaître et Alexandre Trocki) nous offre l’inimaginable, un récit insoutenable, poignant, des phrases dures, des images fortes, mais subtilement détaillées pour nous faire toucher du doigt et du cœur l’abjecte d’une odieuse et pourtant très présente réalité.
Sur les cendres et les cadavres de ce charnier est né un amour, le leur. Ils sont là, ils ont survécu à tout, ils s’aiment, ils s’aident à guérir et pourtant …, si tout cela n’était construit que sur le mensonge ?
Une simple photo va tout faire voler en éclat, va détruire un bonheur patiemment construit pierre après pierre, tout va exploser sous les questions de cette journaliste un peu trop curieuse et qui va faire un scoop de la ruine d’un couple.
Après l’évocation des atrocités, voici le doute, le mensonge, le rejet, l’incompréhension avec comme ultime question : faut-il un jour pardonner ?
Une question qui restera sans réponse, une interrogation qui laisse un goût amer dans la bouche, qui crée un malaise profond.
La vérité est une hydre rampante qui n’aspire qu’à s’étaler à la lumière.
Elle arrive doucement, s’insinue lentement, pour mettre littéralement le feu à l’image d’un père-héros, pour le transformer en tas de cendres noires et amères dans le cœur de son fils.
Elle va enserrer, étouffer cette femme, amoureuse qui désormais va être tiraillée entre son amour envers son mari et son devoir envers la mémoire des morts.
Un jeu tout en finesse et en émotions nous est offert par Valérie Lemaître (l’épouse) et Emmanuel Guillaume (le petit garçon). Ils sont là debout, forts et fragiles à la fois, face à leur amour détruit et à leurs ruines. A leurs côtés, Roxane de Limelette est Marie, la journaliste, elle réussit à nous faire vibrer, mais jamais avec la même intensité, elle semble plus en retrait. Alexandre Trocki est le père, le mari et le traître, un rôle très difficile et qui laisse dans une certaine ambivalence quant à son jeu. Impossible de le qualifier, mais n’est-ce pas là justement le but et donc un succès pour l’acteur et pour Patrick Descamps (le metteur en scène) que d’avoir créer un personnage froid et raide qui alterne les moments de pure émotivité avec les périodes de rhétorique sentimentale et manipulatrice.
L’Indicible est une plongée dans l’horreur, dans la vie, dans la survie.
Un texte à la pointe de l’actualité troublant, grinçant et dérangeant.
Muriel Hublet |