Une scène vide, un noir obscur, et les battements lancinants d’un cœur qui bat.
Un début de mise en scène qui déjà vous sensibilise et vous interroge sur la suite à venir.
Un homme se met à parler, à se raconter, une vague lueur apparaît éclairant une cloison semi-opaque.
Derrière, dissimulé, un homme, cet homme raconte la période de sa vie qui l’a marqué à jamais, dans l’esprit et dans le corps.
Il nous raconte son arrestation par la milice fasciste italienne, son internement dans le camp de concentration Fossoli avant d’être, comme tant d’autres, déporté vers Auschwitz.
Pendant toute cette partie du monologue, il reste tapi derrière cette séparation et les jeux de lumière s’emparent de son ombre, de son aura.
Ils l’agrandissent, la rétrécissent, la modifient, l’amoindrissent, la déforment.
On observe ainsi un corps déstructuré, un pantin sans fil, une poupée de tissu qui a perdu de son bourrage, malléable à la lumière comme son enveloppe physique et son esprit le deviennent face à la violence gratuite, aux coups et à l’incompréhension d’un sort qui les rabaisse plus bas que terre.
Frédéric Haugnesse est cet homme meurtri, avili, affamé, famélique, qui vole, qui souffre, qui a froid, qui a faim, qui est prêt à tout pour un bout de pain.
Pendant 1 h 20 min, il va nous faire ressentir tout cela.
Un difficile challenge que de transmettre un message d’une telle force, de faire percevoir une douleur si profonde et une détresse inimaginable, inconcevable.
On nous montre régulièrement des films sur cette période, sur les souffrances des uns et des autres dans les camps et c’est criant de vérité. Mais entre chaque scène tournée, l’acteur a le temps de souffler, de se reposer, de se re-concentrer, il a des partenaires pour lui donner la réplique.
Frédéric Haugnesse est seul, tout seul, comme l’était Primo Levi à Auschwitz, il n’a personne pour l’aider et le soutenir.
Il puise en lui même l’énergie et la force pour nous transmettre les mots de Si c’est un homme.
(Un texte aujourd’hui unanimement considéré aujourd'hui comme un chef-d'œuvre.)
Son seul soutien, c’est moi, c’est vous, c’est nous le public qui écoutons dans un silence lourd et pesant, qui le souffle coupé recevons en plein visage un récit atroce, entendu déjà plus d’une fois, mais qui reste, encore et toujours, prenant et bouleversant.
La sobriété de la mise en scène prend toute sa valeur grâce aux jeux de lumière, déjà mentionnés plus haut mais aussi par le fait symbolique que pendant tout le spectacle Frédéric Haugnesse reste debout. Debout face à tout, debout comme un homme, debout comme cet ordre, ce mot si simple, mais empli d’une connotation douloureuse quand il est prononcé par les gardiens du Lager.
Debout, c’est aussi un cri, un appel, pour que plus jamais Si c’est un homme ne soit l’histoire de personne.
Plébiscité Prix de la critique 2006-2007 comme Meilleur seul en scène
Muriel Hublet |