Une farce écrite par Michel de Ghelderode, c’est tout à la fois entrer dans un monde fantasmagorique, mais aussi écouter des mots parfois étranges ou aux consonances bien de chez nous.
Dans un langage parfois plein d’emphase, souvent très imagé, il créée ici un monde imaginaire, qu’il faut découvrir en oubliant nos repères bien logiques.
La Balade du Grand Macabre est une farce, qui en deux heures trente nous emporte dans un monde tout à fait baroque.
Tout n’y est que joutes verbales, petits mots glissés de manière anodine, mais qui ont un sens bien caché.
Cette pièce a été écrite en 1934 et évoque donc (théoriquement !), de faits anciens, vieux, surannés, dépassés.
Nous ne sommes plus vraiment dans une période de montée de l’extrémisme nazi.
Michel de Ghelderode nous parle de valeurs patriotiques, d’unité, de royauté, de ministres corrompus et se sert de l’arrivée de l’homme à la faux pour remettre les pendules à l’heure.
Et ça sonne juste à nos oreilles. Septante ans plus tard, Breugellande est toujours un pays en danger !
Dans un décor d’apparence irréaliste, un ensemble hétéroclite d’objets baroques, du moins en apparence, car à y bien regarder, chacun trouvera à un moment ou un autre son utilité.
Le plaisir est de trouver ce qui se cache derrière l’objet, le sens visuel caché de chacun, l’allégorie sous-entendue comme de donner à une lunette d’astronomie l’aspect d’un lance-missile. Thierry Bosquet signe ici une superbe scénographie et créée des costumes originaux.
Il est impossible d’imaginer La Balade du Grand Macabre sans cette ambiance étrange, cet espèce de dépaysement, cette impression d’être ailleurs pour vivre notre réel. Sans son travail créatif, la pièce ne serait rien de plus qu’un spectacle parmi d’autres.
Un décor tout aussi superbe et réussi qu’il soit ne serait qu’un écrin vide s’il ne se parait pas de quelques comédiens.
Pour créer ce petit bijou qu’est La Balade du Grand Macabre, Stephen Shank (le metteur en scène) a choisi un diamant noir pour jouer Nekrozotar.
Pascal Racan est l’homme en noir, la faux à la main, dans un costume étriqué, avec un manteau long comme une nuit sans fin, le crâne rasé, le visage blafard, il est La Mort aux allures de vampire diabolique.
Michel Poncelet (Porprenaz) est un rubis tant son nez de pochtron est rouge, mais aussi tant sa verve et sa gouaille sont plaisantes, il incarne le portrait type du bon vivant bien lucide.
Videbolle, joué par Didier Colfs est l’améthyste, la pierre de la sagesse et de l’humilité, homme battu, il s’épanouit sous la conduite de Nekrozotar pour vous offrir un personnage vibrant de passion et de liberté enfin retrouvée.
Sa femme, virago domestique, fouetteuse enragée (une superbe Françoise Oriane) meurt sous les assauts mortels du Macabre
Eric Breton Le Veel et Jean-François Rossion excellent en ministres affligés d’une rage taxatrice infernale, jusqu’à vouloir imposer l’air que l’on respire (La Balade du Grand Macabre sera donc interdite à tout jamais à nos gouvernants de touts bords).
Philippe Allard en Sire Goulave, prince de Breugellande est doublement le saphir.
Par la couleur de son costume de petit marin, mais aussi et surtout par la symbolique de la pierre précieuse : l’espérance et la protection contre les trahisons.
Maladroit, malhabile, mal conseillé, il est aussi l’espoir et l’avenir de sa contrée.
Une farce qui finalement rappelle beaucoup de choses très actuelles, soigneusement emballées sous un vernis de dérision.
La Balade du Grand Macabre est à découvrir l’esprit ouvert, pour le plaisir des yeux et du spectacle.
Le plaisir de trouver son sens caché, bien contemporain est un plus.
Si Michel de Ghelderode s’était su encore si réaliste de nos jours en aurait-il ri autant que le public de l’Aula Magna?
Muriel Hublet |