La fragilité sans fard
Que reste-t-il une fois, derrière les strass et les paillettes, quand les spots s’éteignent, les applaudissements terminés ?
Un artiste épuisé, qui se prend la tête entre les mains, les cheveux détrempés par la sueur, le rimmel qui coule des yeux creusant deux sillons noirâtres qui font hésiter entre transpiration et larmes ?
Qui verrions-nous sortir tard dans la nuit, du Colibri, un miteux cabaret de province ?
Une nana pimpante et guillerette ?
Une courtisane fatale ?
Une femme sans fard qui se fond dans le banal quotidien ?
Une ancienne alcoolique ? Une complexée des bourrelets ? Une paysanne montée à la grande ville ? Une mère célibataire ? Une envieuse râleuse ?
Ladycrackers vous entraîne dans les coulisses, à la rencontre de ces Girls.
La scène divisée en trois zones permet de suivre ces demoiselles dans leurs numéros, de les pister derrière le rideau rouge, d’assister à leurs échanges parfois acrimonieux dans la loge commune ou d’être une souris dans leurs pensées (représentées ici sous forme d’un confessionnal style Star Academy).
Cette vision démultipliée et quelque peu décalée des dessous du showbiz, est terriblement humaine, poignante sans pour autant tomber dans le facile pathos.
L’ensemble se rehausse d’un plaisant petit côté voyeur indiscret en diable.
Valérie Lemaître, Véronique Liévin, Elisabeth Mouzon, Angèle Micaux et Tracee Westmoreland se mettent en quatre pour nous faire vivre ces cinq femmes, les comédiennes dansent et les danseuses jouent la comédie dans un Ladycrackers plein de charme et de fougue.
Cette écriture collective, dont Julie Bougard signe la mise en scène et la chorégraphie, pourrait s’identifier à un kleenex.
Précieux, utile ou futile dérisoire, un lumineux et délicat nuage soyeux qui effleure presque tendrement la peau et tout en cachant sa fragile solidité de velours pourpre.
Ladycrackers ne se limite pas au classique théâtre, mais pioche allégrement dans la danse, la chanson et le music-hall.
Spectacle complet et complexe, fascinant et parfois déroutant, il séduit également par l’humour cynique des propos et des situations, le kitch drolatique ou encore le brio des exhibitions et numéros.
Cette diversité et cette complexité qui en font tout le charme et la fraîcheur paradoxalement le fragilisent.
Le rire alterne avec l’émotion, la musique disco précède les mots chuchotés, le tutu s’enfile sous une robe de chambre rapiécée, dans un tempo qui va du très lent slow au rock le plus endiablé.
Tout comme un grand écart est parfois malaisé, Ladycrackers tente de faire se rejoindre deux réalités tellement opposées dans leur réalisme que les deux heures de spectacle, variées dans leur forme et dans leur propos, passent à la vitesse de l’éclair même si certaines performances dansées paraissent à certains moments un peu longuettes.
Muriel Hublet |