C’est avec la première phrase que l’on saisit le lecteur ou qu’il jette le livre dit Abram Potz dans le spectacle.
Voir un vieillard cacochyme passer la porte et quasi claironner : J’ai 86 ans et je viens de tuer un homme, suscite d’emblée curiosité et suspend le public aux lèvres de l’égrillard bonhomme.
Pendant 1h25, il va, dans un monologue férocement sarcastique, non pas se chercher des excuses ou tenter d’expliquer son geste, mais plutôt se lancer un véritable réquisitoire contre son ennemi personnel … son âge.
D’un scalpel corrosif, mais atrocement réaliste, il dissèque la vieillesse, ses dérives et ses atteintes.
Cyniquement, il dresse le portrait d’un pue la mort, qui voit dans les autres ce qu’il fut tout en leur offrant la détestable image de ce qu’ils seront prochainement.
Psychanalyste ashkénaze, l’homme est amer, sardonique. Il étale avec quasi-délectation sa face parcheminée, ses mains crevassées, son arthrose invalidante et sa constipation chronique.
Acrimonieux, l’octogénaire cache mal son intolérance et son intransigeance pour les plus jeunes que lui.
Trop souvent la bonne conscience bourgeoise tend à faire croire les vieillards heureux. Mais entre la mise en consigne à l’hospice, l’écartement de toute vie sociale, les personnes âgées voient leur univers basculer et se sentent devenir moins que les derniers damnés de la terre.
Cinglante, vitriolée et pertinente, sa vision de la vieillesse décrite sur un mode d’humour très noir doit énormément à l’interprétation d’Yves Degen.
Sa frêle silhouette insuffle à Abram Potz l’énergique envergure d’un vengeur souffreteux qui, à coups de canne ou de crayon, règle ses comptes avec l’existence et son entourage.
Ses yeux de lutin malicieux pétillement littéralement en lâchant une ou l’autre atroce description sur sa déchéance physique.
Entre diatribes violentes et confessions répugnantes, Yves Degen semble s’amuser à secouer moralement les spectateurs.
Mais pour en arriver à un tel résultat, il a fallu pas moins de trois mois de travail à Catherine Brutout (entourée de Jérôme Dejean et Luis Vergara Santiago) pour nous peaufiner une pièce de théâtre à l’ambiance délicatement feutrée dans un écrin sonore tamisé idéalement conçu pour ce prolixe doyen d’âge des assassins.
Un spectacle noir de noir pour un portrait réalistement très cynique de la vieillesse.
Muriel Hublet |