Une perle d’amour dans un écrin de banlieue Nous sommes dans une cité-jardin ouvrière où les destins s’entrecroisent entre le banc et la benne à ordures.
Face au public, trois maisons, chacune habitée par un adolescent et ses problèmes.
Il y a Léa, en rupture scolaire, gamine paumée qui se cherche une identité derrière les chansons d’une autre époque de Mama Cass.
Jamais la dernière à tester sexe et drogue, elle est surtout à la recherche dune dose … d’amour.
Jamie, grand gosse malingre décroche-lui aussi l’école, mais pas pour les mêmes raisons.
Il y est mal vu, maltraité par ses condisciples et préfère la fuite à l’affrontement.
Dernier membre de ce trio très particulier Steve, gamin transformé en bonne à tout faire par son paternel plus prodigue en coups qu’en gestes tendres.
Sorte d’ancrage de ce petit monde, Sandra, la mère de Jamie, une femme qui a grandi seule, sans guère de modèle féminin et qui a de plus élevé seule son fils.
Elle a connu la faim, la misère, les coups et a ramé dur pour s’en sortir.
Loin d’être un modèle idéal, elle est pourtant la seule à tendre de temps en temps une oreille (parfois) compatissante à la souffrance des trois ados.
Elle n’a pas la langue dans la poche et les prises de bec volent bas, les injures ne volent guère plus haut que l’herbe rase du carré d’herbe qui s’étend devant les maisonnettes, mais elle cache pourtant soigneusement un cœur d’or et une réelle inquiétude pour son fils.
On pourrait se croire dans n’importe quel mélodrame banal sur la jeunesse en mal de repères si l’auteur anglais Jonathan Harvey (homosexuel lui-même) n’évoquait entre les deux garçons la naissance d’une amitié profonde et d’un amour charnel.
Après une telle présentation, les moralistes et les bien-pensants auront tendance à se dire de manière réductrice qu’il s’agit d’une pièce provocatrice, violente ou glauque, avec étalage de sexe, de pathos et de vulgarité.
Ils sont entièrement dans l’erreur.
Beautiful Thing est un petit bijou, une perle fragile, délicatement nacrée, subtilement irisée, digne de parer les montures les plus fines et les plus grandioses.
La pièce est un mélange harmonieux de sentiments forts, de moments prenants, de tension croissante, qui se relâche dans des scènes pleines d’un humour (jamais grossier) qui désamorce un instant les passions ou dans des instants de violence larvée, contenue, évoquée qui ne fera jamais exagérée ou pathétique, improbable ou outrancière.
Le ton est juste de bout en bout, avec une pudeur respectueuse, sans jamais choquer, en laissant subtilement le spectateur pressentir les faits, les anticiper, se suspendre aux gestes et aux silences profonds des acteurs.
L’’adaptation française de Xavier Mailleux et la mise en scène de Georges Lini créent un écrin digne de ce texte intense et spirituel qui fouille jusqu’aux tréfonds de l’âme humaine pour en ressortir toute la profondeur délicate et la souffrance si profondément enracinée.
Anne Guilleray a fait des merveilles en réalisant trois maisonnettes, un jardin et la chambre de Jamie le tout réuni sur un même plateau, simplement par la magie de quelques portes et cloisons amovibles.
Refuge des deux ados, nid de leur amour naissant, meublée d’un lit, d’une lampe et d’une table de nuit, l’alcôve est située en hauteur, surplombant la vie qui coule loin en dessous peut-être, créant une forme d’isolement à cette relation particulière, pudique et privilégiée.
Alain Collet signe des jeux de lumière intimistes à souhait, nous faisant voir le défilement des jours et des situations.
Le décor sonore de Nicolas Stroïnovsky essentiellement basé sur des refrains connus de Mama Cass donne une ambiance presque de comédie musicale.
Les costumes signés Thibaut De Coster confèrent un petit air presque banal et par instants délicieusement kitch aux personnages.
Beautiful Thing est le résultat brillant d’un travail d’équipe soigné, qui n’a laissé aucun détail au hasard et nous offre ainsi un moment théâtral de toute beauté.
Il ne serait rien toutefois sans ses comédiens.
A tout seigneur, tout honneur, l’interprétation de Gauthier de Fauconval est remarquable, tant dans sa tenue hésitante, la retenue de ses gestes que ses regards noirs amusés ou insondables.
Le rôle de Steve sera tenu en alternance par Térence Rion & Gregory Praet. Ce dernier interprétait, ce lundi soir de générale, avec brio et authenticité un gosse à l’étroit dans un corps qui l’étouffe, qui se replie sur lui-même, les mains dans les poches pour éviter au propre comme au figuré les coups qui lui pleuvent sur la tête.
La jeune Léa sous les traits d’Elsa Poisot surprend et séduit par sa justesse, sa fragilité soigneusement masquée et ses fêlures pourtant si perceptibles et attendrissantes derrière son personnage de gamine révoltée, grossière, illuminée et perdue.
La mère sous les traits de Pascale Vyvère joue le rôle de la mégère, sorte d’éléphant dans un magasin de porcelaine aux yeux des ados en révolte, mais laisse aussi entrevoir ses propres incertitudes, ses blessures profondes pour basculer dans un rôle de mère éplorée, désorientée devant les changements vécus par son fils, choquée par son silence, son manque de confiance, mais finalement son amour profond pour son fils sera le plus fort.
L’actrice marie presque parfaitement tous ces changements et passe avec aisance de la langue de vipère à la lionne protectrice.
Bien plus qu’un des plus beaux spectacles du moment,Beautiful thing est une ode à l’amour, au respect, à la tolérance tout en nuance, en pudeur et en humour.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 25-02-2008
Théâtre de Poche
Présentation du spectacle :
Résumé :
Dans la banlieue ouvrière du Sud-Est de Londres, sous la chaleur écrasante d’un été caniculaire, trois adolescents se morfondent. Jamie, chahuté par ses camarades de classe, peu enclin à la compétition, sèche les cours; Ste se fait tabasser par son père alcoolique; Leah, renvoyée du lycée, plane dans le monde musical de Mama Cass.
L'affiche :
De Jonathan Harvey
Avec : Toni d 'Antonio, Gauthier de Fauconval, Elsa Poisot,
Grégory Praet, Térence Rion et Pascale Vyvère