Une scène quasi vide, sorte de bunker d’un blanc lumineux, au fond une porte, style sous-marin, avec un hublot comme seule ouverture vers l’extérieur.
Pour seuls meubles un pouf orangé et deux ingénieux sacs de billes modulables en guise de fauteuils ou de divan au gré des besoins du récit.
Un brouhaha retentit fait de vrombissements, de paroles, de sonneries de GSM (un excellent moyen de se dire qu’il est temps de couper le sien comme dit la formule consacrée, si cela n’était encore fait) et d’un cœur qui bat lancinant.
Et soudain, le silence, de longues minutes sans un bruit à regarder Alexandre von Sivers et Bernard Cogniaux … muets. Installés sur leurs poufs informes, avec de temps en temps un petit geste pour bien montrer qu’ils sont vivants, ils restent là obstinément silencieux.
Un vide inconfortable s’installe. Le public s’agite, souffle, soupire, toussote, se mouche, tente à tout prix et inconsciemment de meubler, de rompre cette chape pesante… le silence.
Soudain, le visage de Christian Labeau apparaît, derrière la vitre, souriant, curieux. Il pousse la porte, la referme d’un petit claquement sec.
Haussement de sourcils des deux autres et tout d’un coup, l’inattendu … un mot …Bonjour.
Réaction immédiate des deux méditatifs, apôtres du mutisme … ils crient leur colère, rompant ainsi leur introspection.
Le silence est enfin rompu !
Les murs vont tout doucement se colorer (jeux de lumière de Jacques Magrofuoco), tout comme la vie semble enfin entrer dans ce cocon jusque-là insonorisé (scénographie originale de James Block).
Un assureur, un légumier et un éditeur, trois hommes, trois vies, trois univers qui vont cohabiter cahin-caha dans un caisson de silence, nouvelle initiative d’une société qui prévoit même l’ennui et lui trouve une apparence de dérivatif. Loin d’être prisonniers, ils sont là de leur propre gré et s’y retrouvent avec plaisir jour après jour.
Les relations se nouent, faites de mesquineries, de provocations, de manipulations.
Les trois quidams s’en donnent à cœur joie, mélangent perfidie, insinuation et amitié.
Dans leur bocal tout neuf, ils vont se haïr, se disputer, se battre avant d’avoir fait le tour de leur situation, d’avoir apprivoisé leur nouvel environnement et de se replonger dans un silence méditatif.
Solution échappatoire à un ennui retrouvé ?
Entre poids du silence et poids de l’ennui, le besoin de combler à tout prix une certaine oisiveté sociale, nos pécores masculines tentent de refaire leur monde en nous montrant les limites ridicules du nôtre.
Jean-Pierre Dopagne, auteur de cette comédie savoureusement critique, nous propose une peinture vitriolée de notre société et de ses clivages sociaux culturels.
Il invente une société qui réglemente tout même l’ennui, qui offre des aux oisifs qui fuient l’ennui.
Ironique en diable, son texte n’est pas avare en petites phrases acides et en sous-entendus acerbes.
La mise en scène d’Olivier Leborgne se veut sobre. Sans un geste de trop, comme le veut cet endroit de méditation, il dirige finement ses acteurs privilégiant, les mots, les intonations et les regards.
Un habile détricotage par l’ironie de notre société, un texte délicieusement caustique qui doit beaucoup à l’interprétation de ses trois acteurs.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 11-09-2007
Atelier Théâtre Jean Vilar
Présentation du spectacle :
Résumé :
À l’heure où le "capitalisme est roi", où "le temps c’est de l’argent" ; à cette époque où nous baignons dans le bruit et la productivité… Imaginons que nos chers Pouvoirs Publics décident de financer un espace de quiétude. Un "patrimoine silence" qui donne à chacun la possibilité de rêver, de s’évader, de s’ennuyer.
L'affiche :
De : Jean-Pierre Dopagne
Avec Bernard Cogniaux, Christian Labeau, Alexandre von Sivers