Amour sans tabous
Le démon de midi vous connaissez ?
Cette espèce de folie douce, sorte de cure de jouvence psychologique qui taraude ces messieurs aux tempes grisonnantes et leur fait faire bien des bêtises, vous vous rappelez ?
Mais connaissez-vous le pendant féminin de ce mot ?
Non ?
Moi non plus, mais pourquoi ne pas l’appeler Coup de Soleil ?
Une petite (grosse ?) envie de se sentir rajeunir, de jeter au panier ses préjugés, sa bienséance, sa bourgeoisie bien établie pour se laisser courtiser, défriser, secouer par un vent de jeunesse masculin qui vient délicieusement chambouler votre vie.
Valentine (Jacqueline Préseau) s’ennuie dans son ronron quotidien, elle a envie d’autre chose, elle prépare ses mots pour larguer proprement son amant (Christian Ferauge) de toujours (ou quasi, 15 ans c’est quand même un fameux bail non ?).
Survient un livreur, Patrick (Frédéric Genovese), il apporte un bouquet de fleurs. Il traîne dans son sillage bien plus que le parfum odorant des roses thé, il exhale la vie, l’insolence, l’insouciance… la jeunesse.
Entre valse-hésitation et tango langoureux, tout n’est qu’une question de… quelques pas (vers la chambre à coucher) et d’un léger changement de rythme pour obtenir un nouvel accord (sur l’oreiller).
Après un tel Coup de Soleil, pas besoin de crème apaisante, ni d’antirides, c’est le lifting moral garanti.
Si l’amour fait pétiller les yeux des amants, le regard des autres reste impitoyable : opprobre, réprobation ou incompréhension sont les sentiments les plus courants.
Loin de porter un tel jugement, Marcel Mithois, l’auteur de cette pièce, nous décrit les affres de Valentine, mais surtout reste ouvert, compréhensif et d’une tolérance amusée.
Il préfère se jouer d’une situation de confrontation entre les hommes qui peuplent sa vie l’agrémentant de jalousies et quiproquos.
Il lui opposera également la vision de deux autres femmes Ghislaine (Aïcha Aït-Taïb) sa jeune femme de ménage et Brigitte-Cerise (Chantal Pirotte) sa future bru.
Vaudeville ironique à savourer sans complexes, la pièce surprendra par son originalité verbale.
Créée sur mesure pour Jacqueline Maillan, elle lui offrait une série d’apartés avec le public, les interrogeant, les interpellant, les prenants comme confidents ou comme conscience moralisatrice.
Les premières minutes peuvent donc paraître déstabilisantes de se voir ainsi apostropher, mais très vite on rentre dans le jeu et cela permet à tous de s’identifier au récit et de vivre intérieurement son propre Coup de Soleil.
La mise en scène de Jean-Luc Duray évite de faire copie du DVD bien connu et permet à Jacqueline Préseau d’installer son propre jeu, sa propre personnalité en non d’essayer de rentrer dans une image probablement trop lourde à porter.
On notera l’arrivée dans la troupe de La Flûte Enchantée de Frédéric Genovese, le jeune amant.
Il crée une sorte d’aura de dynamisme autour du jeune fleuriste et signe quelques belles tirades (dont les différentes manières de rompre).
Dernière pointe de ce triangle amoureux un peu particulier, Christian Ferauge confère à son personnage tout le classicisme, la retenue, la pondération d’un vieil amant confortable (un bon vieux fauteuil, douillet, mis en forme par l’usage) avec un style délicieusement compassé de gentilhomme anglais.
Dernier personnage marquant Cerise (prononcé CeIse, comme là-bas) future belle-fille, plutôt originale et d’un optimisme compréhensif à toute épreuve.
À défaut de pouvoir partir vers le grand sud pour les vacances d’hiver, prenez malgré tout votre Coup de Soleil, votre pause régénératrice pour laquelle il ne vous faudra même pas glisser d’ambre solaire dans votre poche.
Vous n’en sortirez pas tout bronzés, il est vrai.
Mais votre portefeuille sera bien moins plat qu’après une semaine de vacances et votre regard tout aussi pétillant donc si la Tunisie, la Grèce ou la Turquie ne peuvent vous accueillir cette année, ce rendez-vous rieur à la Flûte enchantée les vaut bien.
Muriel Hublet |