August Strindberg nous propose, dans ce texte, un théâtre de chambre, sur un seul lieu, avec trois personnages, quasi d’égale importance.
Son écriture claire et concise taille dans le vif et s’encombre peu d’enrober les sentiments.
Les personnages dépeints y sont abjects, fourbes, menteurs, manipulateurs et horriblement … humains.
Plus qu’une situation, c’est une peinture presque glaciale et noirâtre de l’abjection de deux vieillards.
Ils se haïssent, se déchirent, se menacent, s’injurient dans une routine inaltérée par le fil des années ou l’usure des sentiments.
Au contraire, la rancune a grandi, l’aversion est devenue haine et la rancœur folie destructrice.
La mise en scène de Daniel Scahaise et l’intimité de l’Atelier de la Place des Martyrs nous installent autour d’un cercle parfait (une scène ronde et qui tourne sur elle-même).Ce qui malheureusement frustre un peu notre plaisir de spectateurs condamnés à voir un dos ou un fessier pendant certaines scènes importantes
Si l’action se situe dans une forteresse, dont la tour se rappelle dans ce cercle central, on a aussi un peu l’impression d’être un scientifique en train d’étudier un échantillon grouillant et déroutant d’inhumanité.
Mais pour ceux qui sont comme emmurés dans cette tour, n’est-elle pas leur prison ?
Ne sont-ils pas tout à la fois les bagnards d’une existence cynique et perfide et les bourreaux d’un enfer pavé des pires intentions ?
Dans ce huis clos pesant, nous sommes proches du capitaine Edgard et son épouse Alice, nous pouvons les toucher (ou presque), happer le sentiment de violence latente qui emplit la pièce, percevoir les colères retenues et la force de la rage hardiment hurlée.
Ils sont effrayants de machiavélisme, déroutants à force d’imagination dévastatrice.
Leur passé est évoqué par bribes légères, sous-entendu, mais il n’est pas le plus important.
Seul compte l’instant présent, la guerre actuelle.
Peut importe de quoi demain sera fait, ce sera un autre combat.
Entre eux d’eux surgit Kurt, fantôme du passé, un homme qui croit avoir enfin trouvé la force d’affronter les deux démons, mais qui a juste oublié que s’il a changé, eux aussi.
Énergique, la pièce ne laisse que peu de répits, elle enchaîne vivement une crise après l’autre, une riposte après chaque attaque.
Daniel Scahaise a opté pour un jeu vif sans sentimentalité, dur et fort à la fois.
Un choix qui révèle et intensifie la noirceur et l’impact des propos d’August Strindberg.
Il fait de Bernard Marbaix un capitaine Edgard engoncé, raide amidonné, martial, superbe dans sa rigidité militaire et dans sa souffrance face à la mort proche, pitoyable et effondré, mais si juste dans sa quête d’un espoir de vie après la mort.
Jean-Henri Compère devient un homme malheureux, torturé par son passé, une victime née, un faible et en même temps un personnage charnière, le catalyseur d’une rage homérique.
Hélène Theunissen est une perverse, rageuse, querelleuse. Elle a souffert en silence et désormais laisse éclater au grand jour tout ce qu’elle a toujours contenu. Ancienne comédienne dans le texte, elle accentue certains traits et se perd dans certains mensonges ou inventions d’une manière impeccable et sans jamais surjouer, ce qui est le danger quand une actrice interprète une comédienne.
Duels de mots en vase clos, La Danse de Mort est une violente tempête de hargne et de cruauté pure. Combats de trois acteurs titans, elle séduit par la qualité de ses dialogues et le talent de ses interprètes.
Rien de trop, pas un mot, pas un geste, pas une virgule, juste une tornade suffocante, oppressante qui souffle, détruit tout sur son passage et nous emporte des sommets du plaisir théâtral aux abysses glauques et tragiques de l’âme humaine.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 14-05-2008
Théâtre des Martyrs
Présentation du spectacle :
Résumé :
Il y a le mari, la femme et un ami de passage. Un télégraphe et des humains. La machine transmet des messages, les humains transmettent des mots. Des mots qui dansent, se répondent, se heurtent, se cognent. C’est l’éternelle histoire du couple que Strindberg reprend. Le couple lié autant par la haine que par l’amour, mais uni à jamais par une relation profonde et douloureuse. Des machines souffrantes qui ne parviennent pas à décrypter le message qu’elles transmettent.
L'affiche :
d'August Strindberg
avec Jean-Henri Compère, Bernard Marbaix et Hélène Theunissen
Adaptation : Jacques De Decker – Mise en scène : Daniel Scahaise