La folie schizophrène du mal-aimé
Pour son arrivée à l’Atelier 210, le Zut (Zone Urbaine Théâtre) nous offre un spectacle un peu différent de ce à quoi il nous avait accoutumés.
Il nous plonge dans la littérature classique après nous avoir habitués à découvrir des auteurs contemporains.
Oeuvre de Shakespeare, Richard III clôture une tétralogie qui évoque un pan de l’histoire anglaise, la Guerre des deux Roses.
Ce changement de genre et d’époque ne signifie heureusement pas une altération dans l’originalité ou l’émotion.
Composé d’extraits du Richard III de William Shakespeare et de Cacodemon Roi de Bernard Chartreux, le texte de Benoît Verhaert nous dresse le portrait d’un homme en fouillant dans ses souvenirs et leurs fantômes douloureux. Il met ainsi à nu l’âme torturée d’un écorché vif.
Il a choisi de s’axer sur le ressenti, d’évoquer ses tourments, ses désespoirs et de nous d’insister plus particulièrement la fin de l’œuvre shakespearienne, celle de la nuit de cauchemar qui précède la bataille fatale de Bosworth.
Inévitablement donc, ses choix ont entraîné quelques coupures dans la fluidité du récit et parfois on peine (un petit peu) à situer certains personnages.
L’effort imaginatif fait pour y pallier, en créant des scènes originales et surprenantes pour présenter contexte historique et liens familiaux, est pourtant là, saisissant et séduisant.
Seule Élisabeth (interprétée par Suzy Falk, Élisabeth Woodville, mère de feu Édouard V, tué par son oncle Richard III, et d’au moins deux autres enfants décédés sous ordre de leur cruel tonton) reste un peu ambiguë et mal définie.
Mais allons-nous au théâtre pour recevoir une leçon d’histoire ou pour percevoir, ressentir et découvrir ?
Ce parti pris clairement établi, on ne s’étonnera plus de voir les 39 comédiens prévus par Mr Shakespeare réduits à cinq personnages (et un chœur de 16 figurants).
Sous la férule de Benoît Verhaert, la pièce ne perd pourtant rien en sens et semble même y gagner en scènes fortes et impressives.
Que ce soit la danse sensuelle de Lady Anne (Fanny Roy), les affres d’une mère (Miriam Youssef), le ressentiment d’une âme damnée flouée (Jean-Michel Distexhe en Milord de Buckingham), la célèbre phrase Mon royaume pour un cheval ou un God save the King vibrant, chaque tableau est soigneusement étudié, pour faire dévoiler ou préciser une facette du sombre roi.
Que les rétifs au théâtre classique ou les allergiques aux versifications ne craignent donc rien.
1, 2, 3 Richard est résolument moderne, savoureusement remanié, et permet de découvrir autrement l’homme derrière le souverain historique.
Portant littéralement sur ses épaules le spectacle, Itsik Elbaz, est bluffant de présence, de force, de rage, de souffrance. Il éructe ses colères, ses revendications légitimes ou non. Il suinte la douleur du mal-aimé, du paria, du difforme, du perpétuel rejeté, du réprouvé, de l’anormal haï ou raillé. Il hurle son besoin d’amour, il laisse transparaître les perversions de son esprit malade.
Si l’on avait encore (à tort) le moindre doute sur les motifs de sa nomination au titre de Meilleur Comédien pour la saison 2007-2008, il serait ici balayé d’une chiquenaude tant sa prestation est impressionnante.
Le travail de Benoît Verhaert (et de sa nombreuse équipe) est fantastique dans son imagination, sa créativité, sa fantaisie et sa diversité.
Jeux d’ombres, musiques, danse, enchaînements, marionnettes, arts circassiens, les genres se mélangent, se confondent en un mariage complexe, mais drôlement réussi, et offre à 1, 2, 3 Richard une homogénéité, celle de traduire la souffrance morale et mentale d’un homme.
Inutile de chercher quel morceau attribuer à Shakespeare & Bernard Chartreux, l’ensemble est un bloc cohérent aux propos actuels, audacieusement provocateurs et profondément sensibles, sur le fil de l’émotion… Zut oblige.
Muriel Hublet |