Papa, Maman, la guerre et …nous ?
Déguisés en enfants, Thierry Janssen, Lieve Phlippo, et Sébastien Schmit, sont ces minis-pouces dans des corps de géants ou, c’est selon et cela fluctuera ainsi durant tout le spectacle, ces adultes retombés en enfance, ces enfants trop vite mûris, copies fidèles de nos errements.
En 11 tableaux cocasses, à peine exagérés et particulièrement cyniques, Biljana Srbljanovic, auteur dramatique serbe, dresse le portrait de l’enfance et son image du monde adulte.
Difficile de ne pas rire ce cette vision contrastée et décapante que ces trois grands gosses nous offrent de nous-mêmes.
Sans tomber dans le cliché, copies conformes de nos préjugés et de nos comportments, les trois mômes sont délicieusement trognons avec leurs joues rouges à croquer.
Le Père, Vojin, 12 ans (Thierry Janssen), distributeur de claques et de coups de ceinture, suffisant, borné, dictatorial et pontifiant, enfile ses lieux communs comme d’autres ânonnent leur alphabet.
Madame Mère n’est guère mieux, Milena, 11 ans, (Lieve Phlippo), cuisine, répartit la nourriture, câline, se tait figée par la peur des taloches maritales ou distribue d’une main leste quelques torgnoles bien senties à son rejeton. Calme et pilier de famille, elle peut se transformer en un instant en harpie revendicatrice d’un féminisme trop longtemps refoulé.
Andrija, 10 ans (Sébastien Schmit) est tout à la fois et au gré des saynètes le fils ou la fille de cette famille plutôt farfelue, brimé, rabroué, victime toute désignée, il se venge au fil des récits en tuer ses parents de manière à chaque fois abominable.
Dernier membre de ce quatuor scénique (et non des moindres), Nadejda, 11 ans (Fanny Roy), est perdue dans un mutisme profond, elle ne s’exprime plus que par des borborygmes indéfinissables.
La cruauté des enfants va la transformer en chien, attaché à par une chaîne au pied de la table familiale.
D’une historiette à l’autre, entrecoupée par un noir profond et quelques fracas de tonnerre ou de bombardements, les enfants vont rejouer le repas familial, le départ du fils, l’avarice du père, évoquer la guerre, ses douleurs et ses rationnements, le civisme borné, la haine soigneusement entretenue, le racisme, la violence, la difficile survie, la drogue, la liberté de penser, …
Mais jamais l’ensemble ne tombera dans le pathos.
Chaque scène contient son lot d’humour noir et grinçant, de caricatures pertinentes du monde des adultes.
L’émotion aussi est présente à tout instant, affleure du texte, jaillit des regards et des gestes.
C’est là que réside toute la qualité du travail de mise en scène réalisé par Miriam Youssef.
Elle dirige d’une main ferme et précise ses comédiens, obtient d’eux des performances de jeu, des mimiques impressives, des regards poignants des postures gags, le tout dans une fluidité remarquable, avec un résultat qu’on croirait presque naturel et inné.
Entre les tenues enfantines faites d’espèces d’anciennes tentures verdâtres, le sol tel un bac à sable dans une plaine de jeu ou encore une table magique à multiples tiroirs et recoins, la scénographie et les costumes signés Anne Sollie et Thibaut De Coster, y ajoutent une petite touche réaliste et piquante.
S’il faut donc, avec raison, féliciter Miriam Youssef d’être à la fois une bonne comédienne (comme dans sa dernière pièce Les Monologues voilés) et une metteuse en scène talentueuse, on ne pourra manquer d’applaudir son choix d’acteurs et surtout la performance de ceux-ci.
Chacun se démarque par son expressivité du visage et son jeu parfois volontairement très typé.
Si Lieve Phlippo et Sébastien Schmit ne déméritent en rien et nous offrent quelques belles scènes, on apprécie surtout Thierry Janssens (notamment dans le jeu du petit bonhomme sans rire).
La palme revient pourtant à Fanny Roy, sidérante dans son rôle du chien, regard penaud, air malheureux, jappements, petits sauts, frétillement du derrière ou de la … truffe, elle quémande une caresse ou un morceau de chocolat d’une manière très … canine.
Le jeu de mots facile était donc de dire, au sortir du spectacle, que cette jeune artiste a, sans mentir, du chien. Et pourtant, redevenue petite orpheline perdue, écrasée par son passé, elle démontre avec brio que ce petit bout de femme a décidément de qui tenir en talent et pas seulement en filiation.
Histoires de famille est un portrait acide d’une famille déboussolée, par une guerre qui pour serbe qu’elle soit ici, reste universelle dans son propos et ses conséquences douloureuses.
Désabusée, décapante et délicieusement cynique cette fable, moderne séduit à la limite entre le monde adulte et celui de l’enfance, entre cruauté et innocence, entre bourreau et victime.
Un fragile équilibre sans cesse présent qui nous fait osciller nous aussi entre l’envie de consoler ces gamins éperdus, de les prendre dans les bras ou de leur coller une salutaire torgnole … histoire de.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 06-03-2008
ZUT Zone Urbaine Théâtre
Présentation du spectacle :
Résumé :
Loin, très loin des contes de fées, dans un terrain vague désolé, quatre enfants jouent au papa et à la maman. Pour ces bambins d’ex-Yougoslavie, la violence du jeu a remplacé celle des combats. Dans leur rituel, entre Le Père, La Mère, L’Enfant et Le Chien, la tension est extrême ; à l’image du climat politique dans lequel tous tentent de grandir. Sur fond de crise économique, les enfants s’approprient les propos des grands. Mais dans leurs bouches, ces dialogues délirants liés à l’angoisse du chômage, au manque de nourriture ou d’argent déclenchent forcément l’hilarité.
L'affiche :
de Biljana Srbljanovic
Distribution : Thierry Janssen, Lieve Phlippo, Fanny Roy, Sébastien Schmit