Le monde du travail entre questions, interrogations et accusations
Entre spectacle et documentaire, l’auteur et metteur en scène Thibault Nève veut parler de son approche douloureuse du monde du travail.
Il évoque les contraintes d’une obligation morale, d’une incorporation presque forcée dans le milieu du travail qui devient comme une famille où le patron endosse l’image du pater familias.
Comme dans toute famille qui se respecte, l’ado va ruer dans les brancards, remettre en question sa destinée préétablie, les rêves de son géniteur pour tenter de vivre sa propre vie.
Dans le monde du travail, cela va se traduire par la volonté de voir sa personnalité ses besoins, des droits respectés.
Le récit suit la vie de Jean (Clément Manuel) engagé tout frais émoulu de l’école.
Il va entrer dans une société soi-disant généreuse, égalitaire et soucieuse du bien-être de ses employés, mais qui va vite de révéler une dictature soumise aux humeurs d’un patron soupe au lait, borné, profiteur et manipulateur (Philippe Rasse).
Le principe est intéressant, louable et bien imaginé.
Thibault Nève transpose l’entreprise sur un tatami, il a revêtu chacun de ses acteurs d’un costume de judoka et leur fait enchaîner des mouvements dignes d’un entraînement poussé ou carrément des scènes de combat.
Une représentation plus qu’intéressante de la jungle impitoyable du monde du travail.
A cette originalité s’ajoutent certaines scènes filmées à la caméra, avec des gros plans qui permettent de percevoir au mieux les prestations et les sentiments qui s’étalent sur le visage des comédiens.
Un proverbe ne peut mentir et ici on pourrait sans craindre appliquer la phrase : Qui trop embrasse, mal étreint tant chaque petit détail pris dans sa spécificité, isolé des autres est intéressant, soigneusement étudié ou innovant dans sa présentation, comme ce repas pris en commun où le patron coupe la baguette et en tend un quignon à chacun (Il prit le pain, le rompit et le donna à ses disciples….).
Malheureusement, mis ensemble, tous ces petits détails géniaux déconcertent et créent un amas hétéroclite dont on a parfois du mal à saisir la vision d’ensemble.
Trop is too much et c’est un peu dommage pour les comédiens qui ne sont en rien responsables de ce désordre foutraque et qui sont maigrement payés en applaudissements pour un travail qui ne démérite nullement.
Jessica Gazon (Sandra) évolue sur une palette qui va de la dépression à l’exubérance et réussit à chaque fois à surprendre et à amuser.
Elle est presque magistrale dans les moments où la caméra reste braquée sur elle.
Muriel Legrand est Anne, la secrétaire parfaite, mais un peu conne (dixit ses collègues), enthousiaste, pétillante, l’actrice donne un relief piquant à son personnage.
Philippe Rasse (Eddy) navigue avec brio entre le paternalisme, les colères puériles et les manipulations perverses
Clément Manuel dans le rôle phare de Jean, se voit ici offert un rôle complet et très physique (coaché par Othmane Moumen) qui marie souffrance et fougue, douceur et souffrance, délire et prise de conscience et il s’en sort joliment bien.
Gageons, sans guère nous tromper, que connaissant les succès précédents de la Compagnie Chéri-Chéri (La pucelle et le Gorille) et la qualité de leur travail que très vite les petits couacs et égarements seront vite corrigés pour nous offrir la qualité, l’originalité et la force que l’on sent sous-jacente mais qui ne jaillit pas encore à la juste mesure du propos et du travail des quatre acteurs.
Muriel Hublet |