Personnage souvent bien connu de la littérature française, Sainte-Beuve retrouve toutes ses lettres de noblesse sous la plume de Michel Lengliney.
L’auteur français, auteur de scénarios télévisés (Joséphine Ange Gardien) a aussi écrit plusieurs comédies pour le théâtre. Il signe cette fois un texte en demi-teinte et transforme le drame moral d’un homme en comédie douce amère.
Il décrit l’amour de l’écrivain et critique Charles-Augustin Sainte-Beuve pour la femme de Victor Hugo.
Il nous présente ainsi les tourments d’un homme insatisfait, hypocondriaque, renfermé, amoureux d’une inaccessible étoile.
S’enflammer pour la femme d’un ami (ou plutôt d’un ennemi à qui on envie ses succès, que l’on critique vertement en pensées et devant lequel on s’incline obséquieusement).
Michel Lengliney a trempé sa plume dans l’encre noire de l’époque pour nous offrir un texte au langage que l’on qualifierait aujourd’hui d’ampoulé, mais qui recèle surprises et une verdeur digne d’un Victor Hugo assujetti au Viagra.
Déroutant donc que ce spectacle difficilement classable, mais diablement amusant.
Le héros est un éternel perdant, un rimailleur de troisième zone, qui ne réussit qu’à plaire qu’en crachant son fiel, avec brio, sur ses contemporains.
Ce désespéré, mal considéré, mal-aimé en retour est tellement obnubilé par ses insuffisances qu’il ne voit pas l’amour qui l’entoure, et que son aveuglement obstiné en devient attachant et désarmant à force d’être grotesque.
Pour endosser le costume de Sainte-Beuve, le choix du metteur en scène, Adrian Brine, s’est porté sur Philippe Vauchel.
Un choix judicieux s’il en est, car le comédien réussit à se faire plaindre et haïr tout à la fois. Et si parfois on remarque de-ci de-là des airs très à la Gérard Jugnot (créateur du rôle), on ne s’en plaindra pas.
Isabelle Paternotte est Adèle Hugo, une fine mouche, retorse et manipulatrice qui se joue mine du rien du pauvre Sainte-Beuve. La comédienne alterne tour à tour le visage de la sagesse et de la résignation conjugale avec des airs gourmands de chatte devant un bol de lait.
Louise Rocco signe une interprétation sublime de la mère du critique, une véritable maman poule de comédie, adorable, enveloppante et pleine de bon sens derrière son caractère en apparence bourru.
Delphine Dessambre est Juju (Juliette Drouet), une délurée polissonne qui cherche de l’aide pour séduite son Toto( lisez Victor Hugo) par des missives enflammées.
Karin Rochat et Erika Sainte sont les deux domestiques, qui comme dans toutes les comédies sont prodigues de remarques et observations très justes sur le comportement de leurs maîtres.
La première est amoureuse de Sainte-Beuve et ne sera pas payée en retour (avec une très belle scène où elle crie son chagrin), la seconde délurée et accorte a décidé de mordre la vie à pleines dents et d’user en abondance des charmes reçus de dame Nature.
Tout ce petit monde évolue dans un décor tournant (particulièrement réussi) imaginé par Thierry Bosquet et qui nous permet ainsi de voyager d’un appartement à l’autre en passant par les soupentes et le vestibule.
Pour clôturer sa saison, le Théâtre des Galeries propose un spectacle complet, haut en couleur, mélancolique et grivois qui marie avec succès le talent des comédiens avec un texte pointu, ironique et humain sur le combat intérieur d’un homme et ses démons.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 23-04-2008
Théâtre Royal des Galeries
Présentation du spectacle :
Résumé :
Sainte-Beuve, personnage disgracieux et quelque peu désabusé, rêve d’égaler, voire de dépasser les auteurs qu’il critique. Écrivain constamment en proie aux fantasmes et aux doutes, il jalouse l'éclatante réussite littéraire de Victor Hugo tout en étant fasciné par l'écrivain de génie. Il éprouve en outre une folle passion amoureuse pour Adèle Hugo, inaccessible et discrète, soumise aux exigences extravagantes de son mari. Il tente maladroitement de ravir son cœur. Or, s’obstiner à séduire la femme d’un génie quand on n’a ni la beauté ni le talent cela vous met dans un état… critique.
L'affiche :
de Michel Lengliney
Avec Philippe Vauchel, Isabelle Paternotte, Louise Rocco, Delphine Dessambre, Karin Rochat et Erika Sainte.