Dostoïevski au court-bouillon… un mélange épicé pour spectateurs peu frileux
Je hais le théâtre !
C’est par ces mots que commence le spectacle.
D’emblée le ton, forcément décalé est donné.
Gérald Wauthia éructe sa vindicte, sa rage d’homme primaire, anticonformiste, bourré de haine et de préjugés.
Discours sans queue ni tête ? Vaine harangue ? Pas vraiment !
L’affaire se corse quand il avoue entre deux cris de colère, avoir tué de sang-froid un homme qui n’avait pas vraiment la même opinion que lui.
D’un petit saut dans l’espace, nous voilà au commissariat où en aveu, il est confronté à un inspecteur-chef (Laurent Renard) particulièrement pointilleux et tatillon.
La situation ne va cesser d’évoluer, de décanter, de dégénérer, d’aller d’étonnement en retournement de situation, d’inversion de rôles en parodie.
Difficile d’essayer de vous résumer la pièce, et nul besoin même, car vous en perdriez la saveur de la surprise.
Entre thriller et comédie, entre philosophie et drame, toutes les hésitations sont permises tant le texte marie les genres et les références.
Derrière la gravité d’une culpabilité à assumer, le sérieux d’une enquête policière, les personnages sont loin d’être insipides (cupide usurière, étudiant à la morale très spécieuse, policier, poète, sadique, assassin), ils se côtoient, se frottent les uns aux autres et s’affrontent dans des dialogues finement ciselés qui sont sortis tout droit de Crime et Châtiment de Dostoïevski ou de la plume ironique de Bernard Damien.
Difficile de renier l’inspiration de l’auteur russe dans ce défilé de sentiments qui lui sont propres : paranoïa, idéalisme chrétien, rédemption.
Les connaisseurs de son œuvre y retrouveront aussi certains éléments de son style comme l’utilisation d’expressions populaires, de digressions, d’interruptions
L’autodérision et cette mise en abîme du théâtre sont bien propres à la verve de Bernard Damien qui signe aussi la mise en scène de ce Frimes et Frémissements.
Il transforme et adapte un classique en une sorte de pochette surprise ou rien ne sera ni conventionnel, ni prévisible.
En utilisant toutes les ficelles artistiques possibles (vidéo, musiques, théâtre d’ombres, bruitages, …), il nous offre un spectacle rythmé et à nul autre comparable.
Laurent Renard (un Raskolnikov échevelé et torturé à souhait), Gérald Wauthia (impeccable de bout en bout) et Denis Carpentier (charismatique en diable en Christ agenouillé) se prêtent au jeu et deviennent tour à tour, caméraman, bruiteur, assassin, policier, auteur ou comédien ou figurant et nous offrent quelques beaux moments de comédie, avec un final plutôt inattendu et hors norme.
Un thriller dramatico-comique qui comme une délicate praline marie les arômes de l’un, le côté épicé de l’autre et laisse en arrière-bouche le souvenir d’un instant volé entre le subtil, le savoureux et l’inattendu.
Avec beaucoup de justesse, Bernard Damien a évité l’écoeurement en limitant les trop longues tirades tirées de Crime et Châtiment et en privilégiant autant que possible une langue plus moderne et vive, un côté burlesque et décalé plus propice aux surprises et autres coups de Jarnac dont il assaisonne sans tricher ni trembler ses Frimes et Frémissements.
Muriel Hublet |