Au cœur de la forêt, Jay, Didi et Fred se tiennent debout, face à eux-mêmes et à leurs actes.
Un peu comme trois billes qui roulent, se cognent, se repoussent ou s'entrechoquent, leurs dialogues sont composés de phrases courtes, de mots violents et de silences meurtriers.
Ils sont à bout de tout. Épuisés nerveusement, abrutis par une nuit de défonce à l'alcool et à la drogue, ils tentent de reprendre pied dans une réalité des plus sordides.
Dans une sorte de récit à rebours, le texte de Pascal Chevarie nous en fait découvrir l'horreur des dernières heures.
Tour à tour, chacun des trois jeunes hommes va, petit à petit, livrer ses rages, ses espoirs et ses désespoirs.
Pour son ultime création, le ZUT nous offre un petit bijou qui ne laissera personne indifférent.
Une jeunesse paumée et délinquante qui trouve comme exutoire la haine, l’alcool et la drogue est une thématique actuelle.
La jalousie, le sentiment d’exclusion, la sensation d’être un paria, le refus de la différence deviennent les moteurs d’une violence farouche menant au viol et au meurtre.
Troublant à plus d'un titre, ce texte inspiré d'un fait vécu, se veut clairement une tragédie contemporaine.
La Défonce porte l’empreinte québécoise de son auteur tant dans le vocabulaire que dans la rythmique des phrases.
Nos oreilles européennes seront, peut-être, déstabilisées par instants (d’autant que la sauvagerie et la tension de la pièce exigent un tempo rapide, saccadé pour installer une ambiance pesante et dramatique).
De même, le rendu de l'état d'esprit confusionnel des protagonistes induit quasi obligatoirement cris, éructations et déplacements (ce qui n'aide guère à une audition optimale), mais il serait très mesquin de s’arrêter à ce léger inconfort, tant pour le reste, le spectacle est fort et captivant.
L’Atelier 210 est devenu une forêt faite de rideaux de plastique judicieusement éclairés pour créer ombres et lumières, densité de feuillage et clairière (scénographie d’Agathe Mallaisé et éclairages de Benoît Lavalard).
Un plan incliné permet de transporter l’action au plus près du public, disséminé dans la salle ou sur le plateau.
En cernant l’intrigue, en pouvant toucher du bout des doigts les comédiens, en étant les yeux dans les yeux avec eux, en recueillant au bord de leurs lèvres leurs aveux et confidences, l’intensité dramatique et le propos volontairement choquant sont comme magnifiés.
Chaque spectateur, selon l’endroit où il est assis, percevra sous un angle de vue légèrement différent le récit.
La mise en scène de Jasmina Douieb, en séparant au maximum les protagonistes, intensifie encore cette impression.
Ces proximités variables offriront un tout autre rendu à une fêlure dans la voix, un regard embué de larmes ou des poings convulsivement serrés.
Ainsi, on lira dans les yeux de Georges Lini la démence rageuse qui étreint Didi, dans les gestes de Nicolas Ossowski les hésitations et le sentiment protecteur de Fred le grand frère et dans le visage de Toni D’Antonio, on découvrira la peine incommensurable de Jay, un être blessé par le rejet de Pen (Catherine Grosjean), la jeune fille dont il est amoureux.
Étouffante, pesante, glauque et très réaliste, La Défonce nous entraîne dans le tourbillon des émotions et le bouleversement des valeurs.
Avec cette pièce courte, mais dense et intense, nos conceptions du théâtre sont une nouvelle fois agréablement chamboulées.
Pour son chant du cygne, le Zut referme le rideau en apothéose.
À ne pas manquer.
Extrait du texte : JAY : La Défonce. Leur messe. Leur affaire.
DIDI : On fait ça souvent – je veux dire : pas ça, pas comme ça, pas comme cette nuit – mais on fait ça souvent.
FRED : On remplit le truck de bières le matin – pis on part. On se soûle la face jusqu’au soir. On roule toute la journée – par en avant, tout le temps, tête baissée – on roule, la musique à fond. On va péter des vitres, je sais pas – tout ce qui nous passe par la tête.
[…] JAY : L’évangile selon saint Fred : ‘‘Vous haïrez l’étranger qui vous demande asile. Vous haïrez celui qui n’est pas de votre sang. Vous haïrez ceux de vos frères qui osent quitter leur terre. Vous haïrez – amen. Ainsi soit-il. Vous haïrez...’’ Mais pourquoi?
Muriel Hublet
Spectacle vu le 18-05-2010
Atelier 210
Présentation du spectacle :
Résumé :
Echo d’un cri étouffé
Une forêt, la nuit. Les phares d’un camion allumés. Une vieille chanson country, lancinante, et l’écho d’un cri étouffé. Dans ce huis-clos à ciel ouvert, les pieds dans la tourbe, quatre personnages se confrontent à leur conscience et à leur culpabilité.
L'affiche :
De Pascal Chevarie
Avec : Georges Lini, Catherine Grosjean, Toni D’Antonio et Nicolas Ossowski