Cigarette quand tu nous tiens …
Le toit d’une multinationale est le refuge illicite des accros de la cigarette.
Produit totalement prohibé dans le règlement de travail, il n’y fait pas bon révéler son vice.
Chacun se cache, épie, dénonce, cafte…
Cafétéria, couloirs et WC sont sous haute surveillance, le seul asile est donc le toit (d’ailleurs, fait-il vraiment partie des locaux de la société ?).
Question de point de vue ou question d’addiction ?
Une seule chose est vraie pour le spectateur, il a face à lui un microcosme de l’entreprise.
Chacun y amène ses problèmes (divorce, solitude, mariage, phobie, …) et cache derrière son masque ses aspirations et ses angoisses.
Ecrites de main de maître par Sergi Belbel, les répliques fusent, ciselées et pointues comme autant de petits diamants aux facettes aiguës et acérées qui font douloureusement mouche.
Ce réalisme cru, cette peinture aux couleurs vives et vitriolées du monde du travail fait frémir de cruelle vérité.
Arrivisme, coups de Jarnac, mensonges, omissions volontaires, promotion canapé, dénonciation tout est bon pour creuser son trou.
L’amitié n’est que vanité, l’idée même de la bonne entente est aussi légère qu’un mégot qui chute des 171 mètres du building.
La dignité humaine et le respect de l’autre sont pures utopies.
Une impression après l’autre, nous percevons un malaise profond, une grande solitude dans ce groupe de fumeurs, tout sauf solidaires, qui se croisent sans guère se voir, sans oser se frôler, se toucher jusqu’au jour où ….
La mise en scène d'Alexis Goslain insuffle dynamisme et vie à l’ensemble, elle est pointilleuse dans les moindres détails (boutonnages, cheveux en désordre, pan de chemise défait, …).
Reste cependant quelques petits bémols comme ces rêves stylisés par des extraits de comédie musicale dansés dans la pénombre (utilisée par ailleurs ce qui prête à confusion) et une bande-son irrégulière qui laisse la part belle à d’assourdissants bruits d’avions ou d’hélicos pour laisser ensuite planer un incroyable et irréaliste silence à d’autres moments.
Malgré cela, l’ensemble reste plus que plaisant et même si chacun des acteurs allume cigarette sur cigarette, jamais l’odeur ne vient incommoder le public (un exploit !).
Ils sont huit comédiens à défiler tour à tour sur ce toit, à y déverser sarcasme, bile ou marasme.
Il faut souligner les prestations d’Elsa Erroyaux (la secrétaire blonde) qui enfile tirade sur tirade, mots creux sur mots vains avec la voix haute perchée d’une ravissante bécasse, de Christel Pedrinelli (la secrétaire rousse) lumineuse dans ses théories presque hallucinatoires, Denis Carpentier (le Coursier) est confondant de naturel et Ronald Beurms (le programmeur informaticien) délicieusement tout en craintes, timidité et chagrin.
Une peinture sociale, satirique et grinçante qui se révèle par petites touches sous les yeux du public.
Même si une bien improbable happy end vient le couronner, le spectacle est acide et plaisant, jouissif et interpellant. Après la pluie mélange sans vergogne, l’amour, la haine, la peur, la passion, la vie, la mort, le suicide, la résignation, l’espoir, le courage, la lâcheté, et ce, à un rythme décidément très … orageux.
Muriel Hublet |