Remisez vos conceptions théâtrales, Hamelin sort franchement des sentiers battus.
La nudité des murs et du plateau se marie avec une prétendue absence de mise en scène.
Cette volontaire sobriété va vous paraître, de prime abord, déconcertante ou dérangeante.
Patience…
Très vite, le texte de l’espagnol Juan Mayorga vous captivera.
Le metteur en scène Christophe Sermet a opté pour un découpage apparent des tableaux.
Il a confié à Thierry Lefèvre la tâche d’annoncier ou plutôt dirions-nous de chroniqueur, de rapporteur et de mesureur du temps qui passe.
Ainsi, il annonce avec aisance et légèreté les changements de lieux ou l’apparition des personnages, dessine les décors au sol, décrit les situations, évoque les silences, non joués par ses compagnons, rythme et explicite l’action.
Tout aussi omniprésent sur scène, Serge Demoulin incarne le juge Montero, un homme intègre qui se retrouve avec un dossier d’abus sexuels sur mineurs à traiter.
Petit à petit, obnubilé par ce dossier si important, qui donne enfin du sens à sa carrière, il en oubliera même sa famille et particulièrement son propre fils en totale dérive.
Photos pornographiques, attouchements sexuels, misérabilisme, abus de prérogative d’une certaine bourgeoisie, pédophilie et dérives sensationnalistes de la presse, … un sujet hautement délicat à évoquer.
Surtout chez nous, où ce type d’affaires laisse de bien amers souvenirs dans les esprits.
La pièce de Juan Mayorga ne pose aucun jugement, ni n’accuse en rien (en apparence).
Le public devient auditoire privilégié de l’enquête.
Il assiste aux interrogatoires et aux rencontres orchestrées par Montero.
Le bourgeois Rivas, principal suspect, incarné par un Fabrice Rodriguez, touchant et poignant dans ses douleurs.
La jeune victime (présumée), Benjamin (Francesco Italiano, tout en grâce et en fragilité), son frère (sous les traits de Gaétan Lejeune) probable ex-victime lui-même, ado jaloux d’avoir été supplanté par son propre cadet dans les attentions de Rivas et de désormais bénéficier seul les différents cadeaux et largesses de cet ami plutôt spécial.
René (second rôle de Gaétan Lejeune) père au cœur en lambeaux, qui cache pourtant pas mal de zones d’ombres notamment sur l’argent reçu de Rivas,
Sophie Jaskulski sera tout à la fois Julia, l’épouse délaissée par Montero, et Lisa, mère de Benjamin et de cinq autres enfants, enceinte du septième, femme droite, fière, mais soumise et effacée.
La pédo-psychologue Rachel (incarnée par Vanessa Compagnucci) nous gavera de bonnes pensées, mais enfermera aussi la jeune victime dans un jargon alambiqué et castrateur qui ne laisse plus guère de place à l’humain.
Joute oratoire, jeu d’échecs pernicieux, Hamelin explore nos béances et nos rigueurs, nos exigences et… la multitude de nos aveuglements.
Jusqu’où sommes-nous prêts à être sourds, à continuer à profiter du système avant de réagir à ses dérives ?
Telle est la question sous-jacente qui finit par nous atteindre comme une gifle sonore et retentissante.
Tout le sel de Hamelin réside dans ces questionnements sans réponses, cette permanente ambivalence, ce manque de certitudes, cette absence de preuves, ce flou soigneusement maintenu, cette volontaire omission de tout jugement.
Nous sommes maîtres de notre propre perception.
Servie par le talent et le travail de cette belle brochette de comédiens, la mise en scène insolite et sobre, amplifiée par l’impact de son découpage abrupt, empêche une totale empathie, contraint à une perpétuelle réflexion tout en offrant ainsi, chaque fois, une petite respiration bienfaisante dans un texte parfois très prenant.
Muriel Hublet |
Il était une fois une ville, une jolie ville qui s’appelait Hamelin...
Hamelin, c’est le conte d’une ville qui n’a pas su aimer ses enfants, peut-être le conte de votre ville. Une ville dont les joyaux architecturaux nous éblouissent. 
