Gertrude (Hélène Theunissen), mère d'Hamlet, et le roi Claudius (Christophe Destexhe) convoquent Rosencrantz et Guildenstern à Elseneur pour surveiller Hamlet dont le comportement est pour le moins étrange.
Tom Stoppard se glisse dans le récit shakespearien pour orienter le spot vers deux comparses, anonymes et sans grades, humbles messagers dans la version de Shakespeare.
Il nous fait revivre le drame bien connu sous un angle nouveau, celui de l’introspection ironique.
Hamlet, la reine Gertrude, Claudius, Ophélie, Polonius, les grands héros se transforment ici en étoiles filantes, en apparitions agitées qui sèment le trouble dans l’esprit simple de Rosencrantz et Guildenstern.
De questionnements en interrogations, d’analyses en découvertes, les compères décortiquent la vie et lui cherche un sens.
Leurs raisonnements méta-physico-philosophico-drolatiques deviennent de véritables joutes oratoires où l’existentiel se marie aux angoisses d’une âme sans amarres et ballottée au gré des désirs des grands de ce monde.
Le texte de Tom Stoppard privilégie les grands duos aux réparties acerbes, délirantes (et quelquefois hermétiques) et laisse peu de place au canevas classique d’Hamlet.
Ainsi les diatribes frondeuses, rafraîchissantes et par instants décapantes alternent avec des tableaux plus courts et plus dynamiques (où la patte de Daniel Scahaise fait merveille).
Inévitablement à un tel régime pendant deux heures vingt (sans entracte) difficile de garder son attention intacte.
Ces longueurs parfois très pesantes jouent en défaveur de la pièce.
Et cela en est très dommage.
La mise en scène et la scénographie de Daniel Scahaise sont des modèles d’inventivité et recèlent quelques jolis petits bijoux visuels.
Il utilise à discrétion, mais très judicieusement de voiles et autres écrans de tissus pour nous faire voyager dans Elseneur.
Il n’hésitera pas non plus sur la fin du spectacle à transformer le plateau en navire.
Mais le plus brillant est peut-être l’aura fascinante qu’il façonne autour de la troupe des comédiens ambulants invités en représentation dans le célèbre château danois (Jean-Henri Compère, Jaoued Deggouj , Stéphane Ledune, Sylvie Perederejew , …).
Outre les costumes d’Anne Compère qui créent à chaque personnage un style et caractère délicieusement typé, il les fait travailler sous forme de pantomime et distille ainsi à l’ensemble un cachet original.
Quant à l’interprétation impossible d’y retrouver à redire.
Le spectacle met à l’avant-plan Emmanuel Dekoninck et Bernard Gahide.
Impeccables dans tous les registres, ils jouent l’émotion au rire sans jamais faiblir et portent littéralement la pièce sur leurs épaules.
Mais chacun des acteurs est sans reproches et sert énergiquement et humblement un fameux travail collectif.
Ce spectacle impressionnant et ces deux acteurs époustouflants laisseront un joli souvenir dans les esprits.
Seront-ils suffisants pour compenser les longueurs et l’hermétisme de certaines scènes?
Muriel Hublet |