Quelques chaises oranges pour tout décor, de la musique techno et quelques pas de danse en guise d’intro (ou de rupture de temps), une série d’éclairages vifs pour éclairer les intervenants voilà l’apparente simplicité de la scénographie d’un spectacle pourtant tout sauf austère.
Six jeunes d’une quinzaine d’années laissent entrevoir leur désabusement, leur perception bien arrêtée du monde qui les entoure, leurs vides, leurs rêves et leurs douleurs.
Cachés derrière l’incognito d’un écran, ils cherchent le dialogue, une main tenue, une compréhension qu’ils ne trouvent peut-être pas dans la vie réelle.
Lieu privilégié de toutes les confidences qui ne franchiront jamais les lèvres ou ring virtuel de tous les combats et rébellions qui ne débouleront jamais dans les rues de nos villes, le cyberespace devient un cocon rassurant où l’anonymat permet de tout dire, de tout faire, de tout oser.
Sylvie De Braekeleer signe une mise en scène volontairement discrète et laisse la part belle aux sentiments exprimés par le texte bourré d’humour, de tendresse et de lucidité d’Enda Walsh. L’auteur d’origine irlandaise, nous propose la vision puissante et poignante de nos cruautés (inconscientes ou non), de notre morbide curiosité, de notre malveillance potentielle et heureusement aussi la bonne dose d’humanité et de conscience qui habite la plupart d’entre nous.
Dans un langage clair et précis, sur le ton de la modernité (sans tomber dans l’argot déphasant), les six ados refont leur monde (et le nôtre) entre les dérives décevantes de Britney Spears et les utopies d’Harry Potter.
Ils semblent tourner en rond à la recherche d’un sens à leur jeunesse, d’un but, d’une cause à défendre.
Et si finalement, Jim devenait leur étendard, leur représentant ?
Coincé entre une fratrie violente, une mère démissionnaire et un père en fuite, au bord du naufrage physique et mental, ce dernier est le portrait parfait de l’ado désespéré et une proie facile à manipuler dans son immense quête d’attention et d’amour.
Julien Vargas (après un sublime Aiglon au Parc en début de saison) endosse ce rôle avec retenue et sobriété tout en y glissant la juste dose de sensibilité et de fragilité pour nous faire ressentir comme un uppercut au cœur les souffrances de Jim.
Par claviers interposés, ils sont cinq à l’entourer.
Emily (Deborah Rouach Prix du Meilleur Espoir féminin 2007 pour son rôle dans Face de Cuillere) encore très petite fille avec sa coiffure en pétard et ses collants rouges, Jack (Cédric Lombard) le cool dégingandé, Eva (Elsa Poisot) la garce en herbe, Laura (Adriana Da Fonseca) la psy qui écoute attentivement les autres pour oublier mieux ses propres fêlures et William
(un Olivier Lenel superbe et donc prometteur pour cette première apparition sur scène) en BCBG cynique et retors.
Chatroom se révèle être, grâce à la grande justesse de ses interprètes et à la pertinence caustique de son ton, une plongée dans la réalité d’un mal-être qui n’est pas l’apanage de la jeunesse. Derrière les intimités masquées par l’absence de visage se dissimulent des êtres sensibles ou pervers qui peuvent endosser tous les costumes et toutes les apparences et si le phénomène chat sert d’amplificateur à toutes les exacerbations, il n’en reste pas moins hélas, le reflet tristement réaliste de notre propre instabilité.
Muriel Hublet |