Notre critique de Dans la solitude des champs de coton
Dans un no man’s land sombre, deux hommes se rencontrent et s’affrontent.
Sur cette scène faite d’un plancher lumineux et volontairement instable (composé de palettes de bois aux planches espacées) et de panneaux translucides mobiles (scénographie d’Elena Reynart et Arian Schelstraete), on pourrait en fermant les yeux un instant se retrouver dans une arène, spectateurs d’une corrida.
Qui est le taureau, qui est le toréro ?
Peu importe.
La tension est palpable.
Les deux protagonistes s’observent.
L’un tente une véronique, l’autre gratte rageusement le sol.
L’un pointe ses banderilles, l’autre darde une corne vicieuse.
L’un pivote adroitement, l’autre se rue violemment.
Où est l’homme, où est la bête ?
L’auteur Bernard-Marie Koltès ne donne pas de réponse et renvoie sans cesse les combattants dos à dos ou face à face. Il a habilement concocté un canevas ouvert à toutes les interprétations, laissant le public puiser dans ses phrases de quoi nourrir l’imaginaire et compléter les vides volontaires de la trame.
La mise en scène d’Isabelle Nasello s’est ainsi engouffrée dans chaque espace, s’est emparée de chaque silence pour faire résonner le moindre mot ou pour intensifier le plus petit des gestes pour amplifier cette impression lourde, poisseuse et moite d’un danger imminent qui ne se précisera pourtant jamais nettement.
Nous assistons aux prémices, à la phase d’observation, aux approches balbutiantes, aux tâtonnements muets, aux escarmouches orales.
Sans vraiment de début et sans fin bien nette, Dans la solitude des champs de coton devient une joute philosophique où chacun construit ce que l’autre va ensuite balayer d’une chiquenaude verbale. La violence est là, suintante, omniprésente et pourtant, le conflit restera latent, sans jamais laisser voir la moindre mise à mort, trêve ou d'armistice.
Pour interpréter un texte aussi pointu et ardu, pour en livrer tout le relief, pour en faire percevoir les subtilités et ressentir le glauque et la cruauté sous-jacente de la situation, le choix devait se porter sur des acteurs puissants, habiles manipulateurs de mots, assez souples et puissants pour transmettre l'impression d'un combat de fauves, mais également des comédiens très expressifs pour appuyer d'un regard ou d'une mimique un silence ou une phrase.
Marc De Roy (le dealer) et Lucas Tavernier (l’acheteur) se donnent à fond pour créer deux personnages ambigus, complexes, retors et torturés.
Pour sa première production, la toute jeune compagnie Quilombo signe donc avec Dans la solitude des champs de coton un spectacle prenant et intense.
Véritable régal pour les amateurs de pièce à textes, on en déplorera seulement sa brève programmation, mais gageons qu’il devrait être rejoué dès la saison prochaine.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 15-06-2010
Présentation du spectacle :
Résumé :
Bernard-Marie Koltès nous emmène dans les profondeurs de l’être humain à travers deux personnages pris par le désir et l’angoisse. Deux êtres, deux mondes se confrontent dans les ténèbres d’un lieu presque irréel où le discours de l’un s’entrechoque avec celui de l’autre.
L'affiche :
de B-M Koltès
avec Lucas TAVERNIER et Marc DE ROY
mis en scène par Isabelle NASELLO
scénographié par Elena REYNART et Arian SCHELSTRAETE