Les valises de la mémoire
Israël Horovitz, auteur grinçant en diable, nous propose avec Lebensraum le rêve devenu réalité d’un politicien et les impacts que celui-ci va provoquer autour de lui.
Pour percevoir toute l’ampleur du drame psychologique qui est évoqué dans cette pièce, il nous faut nous replonger dans l’après-guerre, dans la haine et l’opprobre qui se sont abattus sur le peuple allemand.
L’Holocauste laisse encore dans les coeurs et les esprits cicatrices et stigmates.
On considère toujours l’Allemagne actuelle comme responsable, quasi à la pointer d’un doigt accusateur.
Quel petit-fils accepterait sans rechigner de porter sur ses épaules les fautes de son grand-père, de continuer à être marginalisé dans une partie de l’opinion publique internationale ?
Israël Horovitz imagine que pour racheter cette honte, septante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le chancelier Stroieber invite six millions de juifs à revenir s’installer chez eux, à redevenir des citoyens à part entière.
L’idée généreuse ne peut inévitablement que déraper.
Sur scène, Nargis Benamor, Didier Colfs et Stéphane Fenocchi vont défendre avec fougue, générosité et talent, une quarantaine de rôles et ainsi nous dépeindre les doutes, les espoirs, les craintes, le ressentiment, le sentiment d’injustice, le racisme naissant, etc.
Le juif américain qui espère trouver du travail dans la vieille Europe, le survivant des camps qui recherche sa dénonciatrice, le docker allemand qui se voit flouer de son emploi au profit d’un nouveau citoyen Stroieber, des activistes israéliens qui s’infiltrent pour prévenir les dérapages raciaux qu’ils anticipent, le savant nobélisable qui se redécouvre des comportements ariens à l’idée de voir son pays envahis par les youpins, le rabbin qui prône le pardon, le pasteur luthérien qui critique la décision de son gouvernement… chacun a son passé, ses convictions, ses espoirs.
Par petites touches, Israël Horovitz va entremêler les fils du destin et celui de ses personnages.
Évocations poignantes et situations loufoques vont alterner, simples peintures du comportement humain, lucides observations sans parti pris.
Rythmée et inventive, la mise en scène de George Lini dynamise, souligne et renforce le côté grinçant et ironique de la fiction tout en laissant émerger avec beaucoup de délicatesse la détresse bouleversante ou l’amour.
De même, le choix de valises remplies des différents accessoires que les trois comédiens emportent, empilent en manipulent est un superbe parallélisme avec ces maigres bagages qui ont si longtemps été les seuls biens des juifs en errance.
Un spectacle à découvrir de toute urgence et à méditer, car les racines d’un mal vieux d’une septantaine d’années semblent dangereusement loin d’être totalement détruites.
Le Plus jamais ça si souvent prononcé n’est toujours pas un fait acquis.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 17-01-2011
Théâtre du Méridien
Présentation du spectacle :
Résumé :
À l’aube du XXIe siècle, le Chancelier de la République lance une invitation aux juifs du monde entier à venir vivre en Allemagne. C’est le rêve possible d’une vie ou plutôt l’occasion rêvée, pour 6 millions de Juifs rescapés de la Shoah, de faire table rase du passé.
L'affiche :
de Israël Horovitz
Distribution : Nargis Benamor, Didier Colfs,Stéphane Fenocchi
Mise en scène : Georges Lini
Décor & costumes : Charly Kleinermann et Thibaut De Coster