Père-Fils … mode d’emploi
Le texte de Serge Kribus traite avec drôlerie et émotion les rapports entre un père et son fils.
Engagé, en dernière minute, comme bouche-trou, pour jouer le Roi Lear.
Boris, le père, ancien acteur, déboule chez son fils Henri qui vient d’être viré de son emploi d’architecte et largué par son épouse.
D’emblée de jeu, chacun est sur le qui-vive, comme deux boxeurs sur la défensive, tentant une avance et se repliant très vite dans un comportement bourru et un tantinet énervé.
Petit à petit, les silences qui se sont tissés entre les deux hommes vont s’estomper.
Boris, très jeune, a vu sa famille disparaître dans les fumées des camps de concentration.
Il a vécu dans la crainte du lendemain et dans l’espoir, encore déçu à ce jour, de l’arrivée d’un avenir meilleur.
Gardant comme phrases fétiches : La mémoire est le garant de la liberté ou On s’est battu pour un autre monde qui n’est toujours pas là. Ce n’est donc pas une raison pour baisser les bras.
Sauf que Boris n’a jamais su exprimer ses sentiments, sa détresse à son fils.
Henri a grandi à côté d’un homme renfermé, frustré et s’il en a ressenti les angoisses refoulées, il ne les a jamais comprises.
Baigné dès l’enfance dans la culture yiddish, jamais il n’a réussi à se situer entre devoirs de mémoire et religion.
Catalogué juif par son entourage, il ne perçoit pas le concept qui le rend différent des autres.
Mieux que mille mots sa phrase : Dessine-moi un juif exprime l’immensité de son désarroi et sa douleur intérieure.
Mais par delà le thème de l’identité juive, Le Grand Retour de Boris S. aborde surtout la difficulté à communiquer, à oser se parler ou se dévoiler.
Henri et Boris sont chacun dans leur bulle, enfermés dans leurs pieux mensonges, se masquant la vérité pour mieux aimer, se protéger et se cacher.
En 24h (une heure trente sur scène), les deux hommes apprendront à se connaître et lèveront le masque sur leur détresse et leurs sentiments.
Avec beaucoup de tendresse et de pudeur, ils vont faire éclater le carcan qui les emprisonne.
Les responsabilités familiales, professionnelles, l’hérédité, le poids des traditions retrouvent des proportions normales.
Sans grands déballages, sans grandiloquences, à mots feutrés, simplement en étant vrais, père et fils se sont enfin compris et peuvent reprendre chacun le fil de leur destin et qui sait tisser un peu différemment leur avenir.
Derrière cette thématique prenante, voire psychologique, l’humour est omniprésent.
Situations, comportements ou phrases tout concourt à faire rire … et à étreindre les cœurs.
Cette magnifique leçon de vie doit énormément à l’écriture de Serge Kribus. L’interprétation magistrale du duo Xavier Campion-Alexandre von Sivers la rehausse et l’amplifie.
Si le talent du premier n’est plus à démontrer, son Boris est superbe bourru, de mauvaise foi et pudique jusque dans ses plus infimes douleurs.
Xavier Campion explose littéralement dans le rôle d’Henri le fils.
Nous avons déjà pu l’apprécier dans différents spectacles comme Délire à deux ou L'histoire des Ours Panda racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort.
Mais sa prestation d’aujourd’hui, nous fait augurer que très vite, il se verra confier de grands rôles.
Sous la direction de Valérie Lemaître et dans le décor modulable de Cécile Rappez, nous assistons subjugués à un équilibre parfait entre les deux comédiens, à une mise en scène énergique, respectueuse de la pudeur et de la sincérité des sentiments évoqués.
Le Grand Retour de Boris S. s’annonce d’emblée comme un des musts de la saison 2011-2012.
Ne le ratez donc pas lors de ses prochaines représentations.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 12-08-2011
Festival Royal de Théâtre de Spa
Présentation du spectacle :
Résumé :
Père-fils ; improbables retrouvailles
Ils s'appellent tous les deux Spielman. Henri, c'est le fils de Boris. Boris, le père de Henri. Ça paraît évident, mais ce n'est pas si simple. Boris est toujours un peu largué.