Quand ombres et couleurs se déclinent en Bonheur
L’imaginaire de Maurice Maeterlinck a créé un conte qui dépeint avec forces de couleurs les pans de l’âme que nous laissons souvent dans l’ombre.
Il décrit les petits bonheurs et les grandes joies, l’importance du souvenir, de l’amour maternel, il illumine d’un trait de lune puissant tout ce que notre esprit garde d'ordinaire soigneusement, volontairement ou non, couverts de brumes.
Il entraîne son lecteur ou spectateur sur les traces de deux enfants qui vont découvrir l’autre facette de la vie, percevoir l’invisible, sa puissance et son empreinte bien réelle sur le quotidien.
Il met dans leurs mains un chapeau magique qui leur permet de voir l’âme des choses et qui les plongera ainsi dans bien plus qu’une aventure, un parcours initiatique.
Créer L’oiseau bleu (six actes et douze tableaux) est une véritable gageure, surtout pour la première mise en scène d’Isabelle Jonniaux.
Il faut susciter, sublimer une vision d’un lieu différent, fantastique, féerique, concevoir une part de mystère ou de merveilleux, un certain dépaysement, transporter le spectateur, assis sur son strapontin, de monde en monde au rythme des pas des deux petits héros.
Isabelle Jonniaux qui signe également l’adaptation du texte a donc eu un travail double.
D’un côté, elle a eu la lourde et ingrate tâche de choisir certains passages tout en écartant d’autres volontairement, avec, à l’esprit, la nécessité de ne pas déséquilibrer l’œuvre de Maeterlinck. De l’autre, elle a été à la source pour imaginer la scénographie avec Marie-Bénédicte Baudin.
Leur option, judicieuse, a été de minimaliser au maximum les décors et de faire travailler l’imagination du spectateur.
Pour tenter d’amener une impression de proximité, pour titiller son imaginaire, la scène classique s’est effacée pour laisser place à un cercle central et les gradins tout au tour.
Au milieu, quatre voiles noirs suspendus, quelques accessoires dans les mains des cinq comédiens (Véronique Dumont, Marie-Noëlle Hébrant, Sébastien Hébrant, Clément Thirion et Marc Weiss) pour créer les costumes des différents protagonistes et les jeux de lumière d’Alain Collet.
Plus d’une fois, le spectateur sera englobé dans l’action, pris à parti, considéré comme part entière du décor (scène des arbres), incarnera les figurants muets ou non représentés (L’eau, Le sucre, Le pain, Le feu, Le Lait …).
Une idée originale, qui coince par instants, lorsque les acteurs se retrouvent à l’opposé de la salle, qu’ils sont moins bien visibles ou dans un flou visuel parfois total, ou encore quand certains caractères principaux apparaissent et disparaissent on ne sait trop pourquoi.
Ainsi, Mytyl est présente au premier acte, pendant la nuit de Noël aux côtés de Tyltyl, pour s’effacer dès l’arrivée de la fée Bérylune. Elle ne sera jamais à côté de son frère de toute l’aventure, elle ne fera une brève réapparition qu’au moment du Cimetière. On appréciera le traitement et la justesse des propos pendant les retrouvailles avec les grands-parents à La Terre de Mémoire ou lors de la rencontre avec l’Amour Maternel. La visite au Palais de la nuit questionnera sur un changement de costume en plein milieu d’un tableau.
Les matérialistes, les esprits terre-à-terre ne manqueront donc pas d’être titillés par cette série d’anachronismes un peu incompréhensibles.
Mais s’arrêter à ces négligeables ( ? mais perfectibles) détails et mégoter sur le sentiment fugace d’inabouti ou de totalement parachevé serait bien mesquin face à l’ampleur du travail réalisé, aux perles inventives qui émaillent la mise en scène, aux finesses craquantes ou amusantes qui font croustiller l’action, à la générosité communicative de Sébastien Hébrant en Chien, le comportement attachant de Tyltyl (Clément Thirion), la fougue et la voix prenante de Véronique Dumont, …
Mieux vaut donc suivre les traces de Maeterlinck et ne pas se fixer sur ce que perçoivent nos yeux, mais sur ce que éprouvent nos cœurs. Plonger dans l’âme de la pièce, dans son message, qui nous convie à voir au-delà des apparences, savourer ce spectacle (et la vie) comme les petits bonheurs.
Un à la fois, un après l’autre ou tous ensemble, ceux-ci nous séduisent : bonheur-de-partager, bonheur-de-voir, bonheur-de-ressentir, bonheur-des-jeux-de-lumière, bonheur-du-jeu-des-acteurs et finalement cela devient un Grand-bonheur-théâtral de redécouvrir un texte rarement monté, de ressentir la puissance des mots qui aujourd’hui gardent encore toute leur force et leur brûlante actualité.
Une féerie, une fable, une fantasmagorie, si simple en apparence, mais qui cache derrière le travail d’une équipe et la séduction du conte de Maeterlinck, un véritable oiseau de feu qui virevolte, lumineux, chatoyant et séduisant dans le ciel théâtral.
L’oisillon que l’on aurait pu craindre fragile se révèle un volatile puissant qui résiste à la brûlante clarté des spots, qui s’en joue pour irradier ses reflets bleutés.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 03-06-2008
Atelier 210
Présentation du spectacle :
Résumé :
Ce conte féerique et philosophique nous raconte l’odyssée de Tyltyl et Mytyl partis à la recherche de l’oiseau bleu, le seul être capable de révéler le grand secret des choses et du bonheur. Il s’agit d’un chemin initiatique qui va emmener ces jeunes âmes dans des mondes parallèles, invisibles normalement à l’être humain : le Pays du Souvenir, le Jardin des Bonheurs, le Royaume de l’Avenir, etc. Chaque monde visité sera l’occasion d’une grande révélation
L'affiche :
Féerie de Maurice Maeterlinck
Avec Véronique Dumont, Marie-Noëlle Hébrant, Sébastien Hébrant, Clément Thirion, Marc Weiss