Spectacle coup de poing, Le bruit des os qui craquent raconte la cavale éperdue de deux gamines dans la forêt africaine.
La plus grande, Elikia, a été enlevée par les rebelles et est devenue ce que l’on nomme pudiquement une enfant-soldat.
Deux années durant, elle a vécu l’horreur. Humiliations, peurs, coups, brimades et viols ont été son lot quotidien.
Lire cette même terreur dans les yeux de Josepha, une petite nouvelle, va être le déclic salvateur.
Elle veut s’échapper et éviter à sa cadette de connaître les mêmes supplices et sévices qu’elle.
L’une tirant l’autre, elles vont fuir vers ailleurs, vers la sécurité, vers un avenir meilleur.
Pendant des jours, sans repères, sans eau, sans nourriture, avec une paire de bottes pour deux, elles vont arpenter les bois, se terrant au plus petit craquement de branchage, dormant le jour et marchant la nuit, ne mangeant que baies et racines.
Ce texte de la Québécoise Suzanne Lebeau, basé sur de nombreux témoignages de petits rescapés de cette exploitation de l’enfance, de cet embrigadement forcé, nous propose de découvrir outre les bribes de confidences des deux fillettes, les mots qu’Elikia a laissés derrière elle.
Trop pudique et probablement trop marquée par les souvenirs atroces, elle a préféré se confier dans un cahier d’écolier.
C’est celui-ci qu’Angelina, l’infirmière qui les a recueillies et qui a accompagné Elikia jusqu’au bout de son chemin (à l’âge de quinze ans, victime du SIDA), présente aujourd’hui devant la Commission qui étudie la situation des enfants-soldats.
Cette dualité entre les mots d’enfant, les non-dits douloureux, les silences hurlants de révolte, les phrases crues couchées sur le papier et la rage contenue d'une femme confrontée à l’inertie d’un système bureaucratisé à l’extrême qui accorde bien peu de prix à une jeune vie détruite, sensibilise beaucoup plus que bien des longs discours.
Profondément humain, sans une once de compassion, avec beaucoup de réalisme, mais sans jamais jouer sur la corde du pathos, Le bruit des os qui craquent vous colle au siège, vous secoue et vous remue, à tel point qu’on hésite entre pleurer et applaudir les trois comédiennes.
Pour son adaptation au Théâtre de Poche, Roland Mahauden a choisi de confier l’interprétation à deux actrices africaines.
Elikia la Congolaise et Josepha, la jeune Rwandaise, s'expriment chacune dans leur langue.
Une traduction s’affiche sur le haut de la scène. Si elle n’est pas toujours facilement lisible pour tous, ce choix de langue renforce (si cela est encore possible) l’authenticité poignante qui se dégage des propos et du jeu d’Angel Uwamahoro-Kabanguka et d’Olga Tshiyuka-Tshibi.
On ne voit plus les actrices, on regarde, on entend, on écoute les cris de souffrance et de détresse de deux enfants abusées.
À leurs côtés, Angelina (Aïssatou Diop), volontairement plus sobre, est à la fois le porte-parole de cette enfance exploitée, martyrisée et violentée, mais aussi de manière insidieuse, le miroir de notre propre indifférence où tout au moins celle des dirigeants politiques africains pour qui fermer les yeux est mille fois plus facile que de prendre des mesures concrètes pour qu’enfin on puisse dire : Plus jamais ça.
À ne manquer sous aucun prétexte.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 30-09-2011
Théâtre de Poche
Présentation du spectacle :
Résumé :
C’est l’histoire de deux enfants soldats en fuite et celle d’une infirmière qui témoigne. Ce texte est un cadeau. Un vrai. Zibeline
L'affiche :
de Suzanne Lebeau
Avec : Angel Uwamahoro- Kabanguka, Olga Tshiuyka-Tshibi, Aïssatou Diop