Deux ados, qui n’ont probablement jamais reçu la moindre éducation théâtrale, chahutent une représentation dont le héros est Abulkasem, un corsaire arabe du 18e siècle.
Ils vont s’emparer de ce nom aux sonorités étranges et le décliner de multiples façons.
C’est cette évolution, cette mythification, ces déformations, ces méprises, ces répétitions que Jonas Hassen Khemiri nous fait suivre.
Abulkasem se triture, s’efface, change, mute, devient injure, mot fourre-tout, idole ou objet de crainte au gré des saynètes, qui s’enchaînent dans un désordre apparent.
Jonas Hassen Khemiri a concocté une série de tableaux kitsch, provocateurs ou volontairement dérangeants pour mieux interpeller dans les deux monologues finaux.
La mise en scène d’Olivier Coyette s’est engouffrée dans cette vision décalée et amplifiée.
Perruque, tenues baroques, exagérations, chansons d’Abba, extraits vidéo, il utilise toutes les ficelles pour transmettre l’humour et le grotesque des situations évoquées (plan drague foireux, discussion pseudo intellectuelle, causerie télévisée sur le terrorisme, discussion de cours de récré…).
Il faut au spectateur une belle dose d’attention pour réordonner l’ensemble, suivre le fil rouge et percevoir le message sous-jacent de Jonas Hassen Khemiri.
Ce lien ténu, pourtant bel et bien présent, risque d’échapper à plus d’un, qui au final peut en arriver à considérer la pièce comme un amas bancal ou hétéroclite, simplement amusant par moments.
Dommage, trois fois dommage de passer ainsi à côté de l’essentiel, de ne pas comprendre comment un petit rien, une broutille, un jeu de mots d’enfant, peut provoquer de pareilles dérives.
C’est le principe du fameux effet papillon qui transforme Abulkasem, plaisanterie douteuse d’ados, en un objet de crainte, de rejet, de moquerie ou de répulsion.
C’est clairement notre monde obnubilé par sa peur de l’autre, ancré dans un racisme larvé ou carrément assumé, refusant les différences et manquant totalement de tolérance que Jonas Hassen Khemiri veut épingler ici. Invasion ! est plein de bons sentiments, joué avec beaucoup d’enthousiasme et de rythme, mais peut-être un peu brouillon.
On peut, éventuellement, conseiller au spectateur qui s’égare dans les images-clichés de se focaliser sur le témoignage d’un clandestin (Riton Liebman) et du jeune garçon témoin d’une mutilation (Olivier Coyette).
Ces moments sont bouleversants d’humanité douloureuse et recèlent, avec les photos d’immigrés et de répression du générique final (si judicieusement choisies et hélas regardées par une infime minorité du public) un appel à plus de compréhension entre les hommes.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 17-01-2012
Théâtre de Poche
Présentation du spectacle :
Résumé :
Un texte impertinent, politique, drôle, existentiel, haletant et émouvant
L'affiche :
de Jonas Hassen Khemiri Texte français Susanne Burstein
Avec : Olivier Coyette, Riton Liebman, Fabien Magry, Nathalie Rozanes