Dans la noirceur de la nuit sans fin, sous une pluie fine et probablement glaçante, un homme tente de se raccrocher à des lambeaux de normalité.
Il a abordé un inconnu dans la rue et par la parole essaye de le retenir. La nuit juste avant les forêts est une longue phrase, pleine d’incessants allers-retours.
Le solitaire, dans sa logorrhée fiévreuse, nous entraîne dans sa spirale infernale, dans sa descente aux enfers.
Nerveux, angoissé, il revient sans cesse sur son récit, y ajoute un détail, une précision avant de replonger, plus loin, plus fort, dans son appel au secours.
Il est l’étranger, le sans-travail.
Il erre sans but, sans rythme de vie, sans domicile, sans amour.
Il hurle sa détresse, sa banlieue blafarde où des loubards font la chasse aux pédés et aux ratons.
Il mendie une minute d’attention, de compréhension pour se sentir normal, pour fuir en pensée les murs glauques qui l’enserrent, qui l’oppressent qui l’empêche de vire, d’être tout simplement.
Sur une scène quasi vide, couverte de sable, avec quelques câbles qui traînent au sol ou qui tendent vers le plafond comme des mains suppliantes ou les branches d’un arbre qui cherche toujours plus haut le soleil et la vie, devant une peinture véritable camaïeu de bleu-gris comme ceux d’un ciel plombé un soir de crachin (scénographie de Michel Thuns), dans les halos de lumière soigneusement ajustés de Vincent Millet, Azeddine Benamara incarne magistralement l’autre, celui qui fait peur, celui dont on se méfie.
Hypnotique, dans une gestuelle sobre, mais bien étudiée (mise en scène d’Eric Castex), les traits creusés, les yeux ivres de douleur, le comédien est l’image même d’une vie ravagée et détruite.
Ses mots (où plutôt ceux de Bernard-Marie Koltès) captivent, interrogent, interpellent.
Dans un coin du plateau, Dorian Baste, guitariste et trompettiste, accompagne, rythme, soutient, amplifie, la tirade ininterrompue d’Azeddine Benamara.
Spectacle intense et captivant, La nuit juste avant les forêts ravira les amateurs de textes forts et fascinants.
Pour les autres, certains aspects pourront paraître un peu elliptiques ou obscurs, mais le drame humain est universellement perceptible surtout s’il est aussi magnifiquement interprété.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 10-11-2011
Théâtre Varia
Présentation du spectacle :
Résumé :
« Un homme tente de retenir par tous les mots qu’il peut trouver un inconnu qu’il a abordé au coin d’une rue, un soir où il est seul. Il lui parle de son univers. Une banlieue où il pleut, où l’on est étranger, où l’on ne travaille plus ; un monde nocturne qu’il traverse, pour fuir, sans se retourner ; il lui parle de tout et de l’amour comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, un enfant peut-être, silencieux, immobile. »
L'affiche :
de Bernard-Marie Koltès
Avec : Azeddine Benamara accompagné de Dorian Baste