Julie la complexe
Jeune comtesse au malaise existentiel perceptible, gamine mal aimée, drôlement éduquée, qui ne sait où est sa place, Julie (Anouchka Vingtier) provoque, un soir de St Jean, un de ses domestiques (Fabrice Rodriguez).
Au lendemain de leur nuit d’ébats, la réalité reprend ses droits et le drame s’installe.
Dans cette guerre à la fois sexuelle et de castes, chacun va défendre jusqu’au bout son point de vue avec opiniâtreté, fougue, virulence.
À l’origine du théâtre intimiste, August Strindberg n’offre aucun choix à ses personnages, leur destin est tout tracé, inéluctable.
Habilement, pour rendre l’ambiance pesante du huis clos et l’implacable devenir de Mademoiselle Julie, la scénographie d’Anne Guilleray réduit l’espace de jeu en nous transportant à l’intérieur d’une sorte de boîte à musique. Comme ces précieux objets qui s’entrouvrent et laissent échapper leurs notes suaves ou aigrelettes, chargées de souvenirs tendres ou douloureux, le décor s’ouvre et se referme sur la tragédie.
Mademoiselle Julie met en avant, de prime abord, la lutte des classes et le poids du qu'en-dira-t-on.
Pourtant très vite se dessine derrière la détresse de la jeune noble et la rouerie madrée du serviteur l’éternelle guerre des sexes.
Mademoiselle Julie revendique le droit à l’assouvissement de ses désirs, à l’épanouissement, au libre arbitre, à la liberté sexuelle…
Jean veut sortir de sa condition inférieure, gravir l’échelle sociale, arrêter de courber l’échine et d’être obligé d’accepter toutes les compromissions.
Entre eux vont se tisser de troubles relations mélangeant attirance et répulsion, domination et soumission. Tout cela tourne dans la tête de Jean et de Julie comme un manège devenu fou, emporté par la vitesse grisante des sentiments exacerbés et freiné par le poids incommensurable de la raison et de la crainte de l’opinion de la société bien pensante de l’époque.
Mademoiselle Julie est une pièce qui se caractérise par la puissance et la profondeur des dialogues.
La mise en scène de Jasmina Douieb semble s’axer sur une guerre des sexes faite des provocations séductrices de Julie, de ses récriminations, de ses colères, de ses peurs, de ses angoisses et des veules tergiversations de Jean.
Anouchka Vingtier en devient une Julie agressive et criarde qui vitupère là où pourtant on pourrait par instants s’attendre à des fêlures et des désespérances plus impressives.
Impeccable de bout en bout, Fabrice Rodriguez exprime toutes les facettes d’un homme sous le poids d’un joug ont il espère un jour peut-être s’affranchir.
Catherine Grosjean est Kristine, un rôle discret qu’elle remplit d’une force et d’une présence émouvante.
Pertinente, surprenante et captivante, Mademoiselle Julie permettra à chacun de mesurer tout le chemin parcouru depuis 1888 (date de sa création).
August Strindberg n’y prenait pas position, il dressait un portrait de la société de son époque.
Aujourd’hui que répondriez-vous si on vous demandait de définir Etre une femme ?
Muriel Hublet |