L’adolescence, l’éveil des sens, des désirs, l’apparition des pulsions, les transformations du corps, le tumulte des sentiments, les angoisses, les questionnements, les tâtonnements, nous sommes tous passés par là avec plus ou moins de difficultés, de tourments, de heurts, de chagrins.
Nous avons tous cherché notre chemin dans la jungle de l’univers adulte, essayé de trouver des réponses entre copains. Nous nous sommes heurtés à nos parents, à leurs airs hagards comme planants si loin de nos contingences de nos besoins. L’autorité, sous toutes ses formes, était intolérable, une atteinte inadmissible à notre limité, une tentative de rogner les ailes que nous tentions péniblement d’étendre.
Avec L'Éveil du printemps, une tragédie parue en 1891, Frank Wedekind narre la vie de quelques adolescents d’hier, mais intemporels, tant seuls la mode, le vocabulaire, les médias ont changé. Pour le reste, au fin fond du cœur et de l’âme, la solitude, l’angoisse, la violence, l’innocence, la cruauté continuent à marquer de manière indélébile ce passage obligé, cette période charnière.
Trente ans après sa création (scénique et de compagnie) le Théâtre de l'Éveil en a souhaité la recréation.
De la troupe originale, seuls restent Béatrix Ferauge et Guy Pion, tandis que Jasmina Douieb assure une mise en scène drôlement équilibrée, perpétuellement sur le fil du rasoir.
Dans une scénographie et des costumes (Aurélie Borremans) fonctionnels, neutres, à la limite du banal voire de la Zone, mais qu’un rien (un jeu de lumière -Benoît Lavalard-, une incrustation vidéo -Sébastien Fernandez-, un geste, une course, un coup de vent, une musique) fait basculer en un instant dans une de ces rêveries presque éveillées, dans un de ces songes où s’évadent les enfants qui craignent de grandir ou qui voudraient déjà avoir franchis sans risque de naufrage le cap périlleux de l’adolescence, Jasmina Douieb navigue sans cesse entre suggestion pudique et démonstration violente, sans victimiser, sans accuser, elle rend à merveille le trouble et la candeur de Wendla (superbe Sherine Seyad), les souffrances de Moritz (Vincent Doms), l’écorché vif, qui a peur de décevoir son entourage, paniqué à l’idée de la moindre mauvaise note et les errements de Melchior (troublant Alexis Julemont), la coqueluche de la classe, beau, riche et doué, à qui on a probablement jamais appris le mot non.
Fascinant dans ses contradictions, déroutant par sa violence crue, suggérée ou induite, naviguant entre poésie, onirisme, crudité, naïveté et pudeur, le spectacle joue sur la palette des sentiments, séduit, questionne, agace, interpelle, choque pour peu que l’on s’autorise à franchir le pas, à se remémorer sa propre jeunesse, le comportement de nos parents, et de réfléchir au nôtre vis-à-vis de nos enfants.
Inévitablement, un peu comme son titre, Éveil, la pièce résonnera en chacun de manière différente, elle touchera une corde sensible et vous subjuguera ou vous trouvera le cœur et l’esprit fermé et risquerait dès lors de vous lasser.
Ce qui serait franchement dommage, les occasions de se réveiller, de (re)prendre conscience de nous-mêmes, de notre monde et qui sait, de faire enfin le deuil de certains regrets ou d’accepter certains changements sont tellement rares qu’il ne faut faire l’impasse sur aucune d’elles.
Muriel Hublet |