Une chambre à coucher cossue.
Une vieille femme, sa garde-malade et gouvernante, son avocate et chargée d’affaires. Fin de vie, à l’heure du bilan, que lui reste-t-il ?
Elle vit entourée d’étrangers, son fils l’a abandonné, le fil du temps lui échappe …
Edward Albee dresse avec Trois grandes femmes un portrait dissonant caustique, amer et réaliste, mélangeant habilement les chemins de l’espoir et les cohortes de vicissitudes avec les échappatoires faciles, les dérives de l’existence, les lâchetés, les désillusions.
Divisé en deux parties, le spectacle, dans sa première moitié, est d’une folle rosserie.
La nonagénaire (formidable Janine Godinas) terrorise, houspille, abuse de sa dame de compagnie et de sa chargée d’affaires s’octroyant des sortes de petites revanches pour compenser les pertes de chaque jour tant en dignité qu’en indépendance.
Hargneuse, caractérielle, cabotine, elle laisse transparaître le portrait d’une harpie richissime, arriviste, raciste, despote…
Très vite pourtant des failles apparaissent, la voix se fragilise, laisse échapper certaines souffrances, regrets, non-dits et rancœurs.
On gardera d’avant l’entracte l’image d’échanges électriques, à fleurets mouchetés, allusifs.
À la reprise, la vieille dame, suite à une attaque, n’est plus qu’un corps gisant (mannequin).
Ses compagnes vont commencer à évoquer les confidences entendues, essayer d’y mettre de l’ordre, de comprendre, de mesurer à l’aulne de leurs propres références.
La présence de l’aïeule va les aider, les guider et ensemble, elles vont se confondre en une seule entité, s’étalant sur trois générations, sur trois âges de la vie.
Entre idéal, rêve, mirage, chimère, réalité, rancune, désespoir, tromperies, mensonges, déceptions, désertion, abandon, c’est un destin de femme avec ses élans, ses émois, ses découragements qui se dessine.
Un portrait fort, prenant, intime, dans lequel il est facile de se reconnaître (au féminin) et si contradictoire et mouvant, plein d’aspérités et de reliefs amers (où les hommes de l’assistance identifieront sans peine leurs compagnes).
Cri d’espoir (Et le bonheur, c’est quand bordel ?) ou tableau cruellement noir, superbement cynique et désabusé, Trois grandes femmes est surtout une leçon de vie, à nous de la percevoir.
Pour ceux qui n’entendront pas le message, la prestation d’Isabelle Defossé (la jeunesse), de Marie-Paule Kumps (la maturité) et de Janine Godinas (la vieillesse) dans une mise en scène de Véronique Dumont leur procurera déjà pas mal de plaisir.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 16-02-2013
Théâtre Le Public
Présentation du spectacle :
Résumé :
Au terme de sa vie, une femme fait le bilan : ses choix, ses échecs,
ses espoirs et rêves réalisés. Elle se rappelle les tromperies, les alliances,
les amis, la famille... Elle fait entendre dans ses aveux, le
plaisir de raconter et le désir d’être pardonnée. En face d’elle, deux
interlocutrices : sa dame de compagnie et une jeune avocate, qui,
elles, ont encore un destin à vivre, des désillusions encaissées et des
espoirs toujours tenaces.
L'affiche :
d’Edward Albee
Avec Janine Godinas, Isabelle Defossé et Marie-Paule Kumps