Madeleine (Anne-Claire) panse ses plaies morales en vivant comme une recluse dans son appartement en chantier.
Rémy (Philippe Vauchel) essaye de combler ses vides au cœur, entre sa femme qui a déserté le foyer conjugal incapable d’assumer leur fils handicapé et le poids de la charge affective de ce dernier. Rendu à la solitude après le placement en institution du jeune homme, il est déboussolé, pas foutu de redonner un sens à sa vie.
Lin (Yuanyuan Li), immigrante chinoise, cherche une place où vivre en Europe, un endroit où s’épanouir en toute liberté loin des contraintes et contradictions de son pays natal.
Les hasards de la vie vont nouer leur destin, faire se croiser leurs routes, entremêler leurs intimités, les changer à tout jamais.
Madeleine, quinqua lettrée, a toujours vécu comme… par procuration, s’investissant de causes en projets, fuyant devant le moindre doute. Son cocon sécuritaire sa se fissurer à la lecture d’un simple entrefilet de journal sur le sort tragique de Yu Dongyue, emprisonné pendant 17 ans, pour un jet de couleur sur un portrait de Mao, pendant les évènements de la Place Tiananmen.
Tout cet édifice si chèrement construit, mais si fragile, va voler en éclat, se briser en mille morceaux, au fur et à mesure qu’elle fouille les méandres de la toile à la recherche de la plus infime bribe d’information pour essayer de comprendre, pour extrapoler, pour percevoir ce qui a bien pu motiver le jeune révolté.
Véritable quête existentielle, c’est son identité, ses propres valeurs, le fondement même de sa personnalité, le pourquoi de ses choix qu’elle cherche, ce sont ses yeux qu’elle espère entre-apercevoir dans ceux de l’étudiant, du révolutionnaire, arrêté, emprisonné, torturé pour une coquille d’œuf remplie de peinture.
Elle va entraîner avec elle Rémi et Lin, les plonger eux aussi dans ce maelstrom de sentiments qui ne les laisseront pas intacts, qui les marqueront à jamais, qui les magnifieront pour toujours.
Entre le texte de l’auteure Carole Fréchette et la mise en scène de Vincent Goethals, il y a une telle osmose que nous pénétrerons dans l’esprit de chacun, nous les percevons, nous sentons leurs détresses, leurs larmes salées sur nos joues.
Prenant, captivant, intime, ‘Je pense à Yu’ est double.
Il nous fait entendre le cœur, l’âme de chacun en plus des mots qu’il délivre.
Profondément sensible, servi par un jeu d’acteurs tout en force et finesse, un excellent travail visuel et une mise en scène souple et délicate, il est non seulement un des musts de la saison, mais aussi un petit bijou théâtral, une parenthèse pour nous prouver à tous que comme à Madeleine, Rémi et Lin qu’il y a toujours des raisons de croire et d’espérer
Muriel Hublet |