Le décor est complètement noir, comme la pièce d’ailleurs, mais est-ce une vraie pièce ou une partition de douleur murmurée, chantée, partagée, transmise ? Surgissent des jeux de clair obscur dignes des visages de Rembrandt. Deux imperméables parfaitement identiques et fort imperméables se dévisagent et poursuivent un dialogue avec une vie ou deux de décalage. Ils se tournent le dos, se perdent de vue et se rejoignent tour à tour, « les vous » remplaçant étrangement « les tu » dans les espaces d’amnésie. Une douleur glacée est sculptée sur l’un des deux visages, celui de Jacqueline Bir mais elle n’a plus peur de la mort. Elle s’en ira entre les feux de la rampe et le fracas de la mer, digne respectueuse et belle. La petite fille de 25 ans est craquante d’innocence et de spontanéité. Elle a besoin de savoir, elle veut comprendre : ‘raconte moi encore l’histoire’. Les bribes de mémoire se superposent, s’effilochent, se contredisent. Les deux récits font des pas de deux, une partition de musique. Pauses : le blanc survient, telle cette pierre blanche intransigeante, dans la fascination du soleil aveuglant des tropiques, une malédiction qui a tué Savannah, la mère. Une mère de 17 ans, ravagée par le désamour ou l’amour tragique décide de mourir d’aimer, allant jusqu’à priver sa propre enfant de l’amour initiatique. Perversité absolue. Cela n’est dit nulle part bien sûr mais on a peur d’y penser. Flotte le panama de l’amant, seul souvenir des merveilleux rivages du Mékong dans toute cette noirceur d’encre, celle du texte et celle l’immensité du grand bleu de la mer indifférente et vide. Epouse inconditionnelle du théâtre, la comédienne ne vit que par les planches, la réalité n’existe pas. La petite fille n’a pas eu de nom, puis elle a pris le nom de Savannah, comme le feu… non comme la mer, comme la mère.
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