Le voyage à La Haye
Un homme seul, face à sa maladie, face à cette issue toute proche et face à lui-même.
Jean-Luc Lagarce se sait condamné, quand il écrit le récit de ses derniers jours, de son dernier voyage. Sur un ton simple, il parle, il se raconte, il exprime sa fatigue, son froid intérieur, sa gêne et tout ce qui le mine.
Il est au bout du rouleau, il le sait, mais il grignote des minutes à l’horloge de la grande Faucheuse.
Il dresse un portrait lucide, sensible et pudique de lui-même et de ses désormais difficiles relations avec les autres. Il n’est pas isolé, loin de là, il n’est pas rejeté, encore moins, mais sa maladie, ses faiblesses et son état d’esprit ont exacerbé sa sensibilité. Son refus d’être plaint et sa crainte de se montrer faible font qu’il perçoit les petits gestes, les paroles des autres comme parfois déformées.
La souffrance lui fausse la vue et rend difficile certaines relations désormais.
Les phrases simples, les petites logorrhées, les mots qui se retournent sont autant de manières de nous faire entrer dans son intimité, de ressentir ses douleurs, ses agacements.
Pour l’extérieur, il se masque, se protège, cache son calvaire et sa lente déchéance.
Frédéric Dussenne est seul en scène pour ce Voyage à La Haye.
Metteur en scène bien connu, les planches lui sont familières, mais plus forcément la chaude lumière des spots.
Mais il réussit magnifiquement à nous faire ressentir toute l’évolution de Jean-Luc Lagarce, ses désirs, ses frustrations, son ironie, sa force tranquille et son immense fragilité.
Dans une scénographie originale qui divise le plateau entre théâtre, hôpital et salle de réception, il va, il vient, il s’assied, il marche, il grelotte, il tremble. Il parle de lui et des autres, des petits riens de chaque jour, des choses qu’il perçoit, lucidement, sans fard et sans voile, sans illusions et surtout sans amertume.
Plus qu’une ode à la mort, c’est une ode à la vie.
Vie qu’il continue à essayer de mordre à pleines dents, qui lui a souri et qui s’en va sur la pointe des pieds, un peu comme le sable s’écoule entre les doigts d’un enfant.
Le Voyage à La Haye est un petit bijou de sensibilité, de pudeur et de fragilité.
Frédéric Dussenne (sous la houlette d’Olivier Coyette) rend un superbe et vibrant hommage à Jean-Luc Lagarce dans cette création.
Un grand moment d’émotion !
Spectacle vu le 14-11-2006
Lieu :
Théâtre Le Public - Voûtes
Une critique signée
Muriel Hublet
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