Dramuscules
Armand Delcampe signe la mise en scène de 5 des 7 courtes pièces de Thomas Bernhard, reprises dans son livre Dramuscules.
On connaît l’auteur pour sa rage fustigatrice face à l’hypocrisie et à la mauvaise foi générale qu’il considère comme le fertile terreau de la montée de la xénophobie.
Publiées en 1988, ces pièces en un acte sont la réponse de l’auteur face aux évènements qui secouent l’Autriche, son pays natal (la montée en force du National-Socialisme renaissant).
Pour illustrer son propos, il prend pour personnages des petites gens.
Il les place dans des situations banales, un accident de voiture, une soirée foot, une émission de TV et tire adroitement parti des contradictions inconscientes qui sont révélatrices des peurs et angoisses qui les taraudent et qui risquent de les faire très vite basculer
Il développe leurs raisonnements simplistes par l’absurde pour provoquer le rire et interpeller les consciences sur le danger de telles paroles répétées par tous à l’extrême.
Il essaie ainsi d’étouffer dans l’œuf, à grands coups d’ironie cinglante, l’aberration raciste que certains se plaisent à développer et à entretenir soigneusement.
Dans une scénographie très originale signée Lionel Lesire, nous verrons deux grenouilles de bénitier, au sortir de l’église, commenter la mort d’un paroissien d’une manière finalement pas toujours très … catholique, mais dans laquelle nous reconnaîtrons facilement une voisine, une tante ou pire encore.
Derrière leurs considérations sur le défunt et son entourage, on évoquera la stupidité de son mortel accident dont il est entièrement responsable, mais…
Pourquoi ce Turc est-il passé par là en roulant si vite ? Pourquoi cette racaille est-elle installée chez nous ? Suivies d’autres considérations dans la même veine.
On reconnaît l’étranger innocent, mais n’empêche s’il n’avait pas été là…
Chacune des 5 saynètes sera dans le même style, se voulant des farces cruelles et parlantes sur un thème bien d’actualité.
Le théâtre et les mots de Thomas Bernhard sont loin d’être agréables à entendre (il le dit lui-même).
Trop souvent, le public ne sait s’il faut rire ou pleurer et préfère se cantonner dans un silence sécurisant.
Dramuscules cause pas mal de déceptions à ceux qui étaient venus dans l’espoir de rire et de s’amuser.
Ceux qui espéraient entendre parler de racisme sont également dépités, la pièce l’évoque, mais pas de manière claire et franche.
Certains se disent choqués par la dernière pièce qui parodie cyniquement un jeu télévisé (avec comme il se doit Patrick Ridremont en présentateur).
Les trois candidats sont des représentants bien connus de la Wallifornie ( ?) : un ministre président à cheveux noirs et à nœud papillon, un président ministre sorte de blondinet avec des ballons bleus en main et une présidente bientôt ministre (c’est dit dans le jeu, il ne s’agit pas de prédiction politique de ma part) aux cheveux noirs, tout sourire et envoyant allégrement des baisers vers le public.
Ils devront répondre à des questions stupides, faire des exercices dégradants le tout sous l’œil d’un arbitre impartial … un chien.
Au fur et à mesure que le jeu avance, certaines mines s’allongent, tant il est difficile de savoir s’il faut rire ou s’affliger.
Mais n’est ce pas là finalement le but recherché par l’auteur, indigner pour mieux faire réfléchir.
Le seul dommage est donc pour les acteurs, Armand Delcampe, Lionel Lesire et toute l’équipe artistique qui ne récoltent pas les bravos mérités pour leur travail, mais qui subissent de plein fouet les réactions du public face au texte dérangeant et révélateur d’une réalité effrayante (et pas forcément si lointaine que ça).
Dramuscules est un spectacle qu’il faut impérativement prendre au second degré. Pour lequel il faut passer outre des impressions premières et simplistes qui font opter catégoriquement pour des mots comme ridicule ou navrant pour au contraire, essayer de dégager le sel et la saveur de l’ensemble.
Car finalement, si l’on trouve le tout trop exagéré, trop ceci ou trop cela, c’est quand même qu’on y reconnaît un fond de vérité.
Et cette constatation-là fait de Dramuscules une dramatique véridique et espérons-le nullement prophétique.
Spectacle vu le 03-03-2007
Lieu :
Atelier Théâtre Jean Vilar
Une critique signée
Muriel Hublet
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