Amour, amour
Et si on jouait à s’aimer ?
Un plancher de bois et de grandes tables de hauteur différente placées en demi-cercle voilà le décor imaginé par Lionel Lesire pour servir d’écrin à un spectacle agréablement ambivalent.
Un petit village, sa quiétude, son école, ses ragots et quatre enfants de neuf ans… Nous voilà plongés dans une fable moderne où quatre mômes nous resservent à leur manière leur perception de notre société et de nos égarements.
Si pendant quelques minutes on peut se trouver un peu déstabilisés par l’écriture un peu originale de Jacques Henrard, qui privilégie le monologue ou le dialogue en duo, les autres acteurs restant figés, hors lumières, on se prend vite au jeu de ce texte bien équilibré, piqué d’humour et de bon sens, innocent et pragmatique, bourré de la fraîcheur candide et de la pureté des rêves de l’enfance.
Tout n’est pas rose pourtant dans ces courtes vies, chacun cache soigneusement de profondes fêlures, des blessures, des déceptions et beaucoup d’espoirs.
Le chemin de l’école redevient le lieu de confrontation, de tractation, d’alliance que nous avons, nous aussi connus jadis.
La cour de récréation reprend ses dimensions de ring de boxe où chaque combat malmène un peu plus les amours-propres et blessent les petits cœurs à la recherche d’un peu de reconnaissance, d’amitié et d’amour.
Car là est le grand mot, celui qui s’écrit avec un A majuscule, celui que Madame (l’institutrice, la voix off de Cécile Van Snick qui signe également la mise en scène de ce spectacle) a choisi comme thème des leçons de la journée, un terme qui va leur trotter en tête et se décliner sous toutes les facettes possibles en cette veille du congé de Toussaint.
Difficile, presque un véritable challenge pour des adultes de jouer des enfants sans tomber dans la caricature, en restant vrais, naturels de bout en bout, avec la candeur et la vivacité de mômes de neuf ans.
Et pourtant, le résultat est là et le pari est particulièrement réussi.
Les deux comédiennes, Catherine Decrolier (la petite peste de Lily qui en a marre d’être rejetée de partout, qui se cherche des amis, coincée entre une mère trop occupée, qui compense cela en achetant une tonne de vêtements à sa fille unique) et Cachou Kirsh (Paula, la gamine du marchand de ferraille, une gosse farouche, issue d’une famille sans le sou, isolée et complexée par son odeur plutôt rebutante, faute de moyens pour se laver) se sont glissées avec brio dans leurs rôles d’ingénues délurées.
Hervé Guerrisi (Tino, gamin frondeur et agressif qui veut buter tout le monde, qui frappe régulièrement ses condisciples) et Pierre Poucet (fil de notable et diabétique qui assume mal d’être privé des friandises qui font le régal de ses copains) s’en sortent tout aussi bien, dans deux personnages très opposés, celui de la grande brute face à son souffre-douleur.
Le synopsis ne se limite pas à ces quelques traits de caractère, au contraire, en une heure vingt, nous découvrirons bien des secrets de ce village paisible. Des petits éléments soigneusement cachés qui seront cause autant de prises de conscience collective que de détonateur à ces mômes dont le besoin d’être aimé et accepté est criant.
Jacques Henrard ancien enseignant a dû bien les observer ses diablotins pour nous offrir un texte tout à la fois réaliste, pragmatique et tendrement enfantin où jalousie, peur de la solitude, peur du regard des autres se marient avec les réflexions d’enfants, leurs bons mots, leur compréhension bien personnelle de nos évidences qui crée ainsi des images parfois drolatiques de nos réalités adultes.
Si une émotion un peu particulière flottait dans le salon gris du Casino de Spa pour une première qui était en même temps un hommage posthume à l’auteur belge décédé il y a quelques mois, sans avoir vu porté à la scène le fruit de son travail (son adaptation de son roman Moi, Madame paru en 2000 aux éditions L’âge d’Homme), gageons pourtant que cette espèce d’aura emphatique et attendrie accompagnera toutes les représentations.
L’exhortation de Jacques Henrard, mise dans la bouche de ses comédiens, Semer les graines d’Amour qu’on a dans le coeur, est une suggestion, une véritable invitation à découvrir ce spectacle attachant.
Et qui sait, peut-être la plus belle des conclusions et le plus doux des espoirs.
Spectacle vu le 08-08-2008
Lieu :
Festival Royal de Spa (Salon Gris)
Une critique signée
Muriel Hublet
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