Le piano de Staline
Magistral Staline
Une scénographie ingénieuse (Serge Daems) nous transporte en 1948, au Kremlin.
David Pownall, adapté en français par Jean-Claude Idée, nous propose de rencontrer Staline et son âme damnée de Jdanov.
Lors d’une réunion nocturne, ils vont tenter de rallier à leur cause, ou plutôt de leur forcer la main, Chostakovitch et Prokofiev, deux grands noms de la musique russe.
Leur but, transformer les sons incongrus, les sanglots longs des violons et autres gémissements du piano, en vigueur jusque-là, en une orchestration populaire qui puisse rendre entrain et dynamisme à une population décimée, affaiblie et démoralisée par les années de guerre et les sacrifices subis.
Le Congrès des Musiciens Soviétiques est en train de siéger, mais n’arrive pas à accoucher du moindre accord, et certainement aucun qui veuille abonder dans le sens souhaité par le tyran géorgien.
Si la pseudo démocratie et la patience ne parviennent à rien, pourquoi ne pas essayer l’intimidation ?
Les deux compositeurs devront être plus que stoïques et résistants pour tenir tête malgré ce lavage de cerveau diaboliquement mené, cette obligation artistique de se soumettre aux desiderata du pouvoir en vigueur.
Chacun a son caractère.
Chostakovitch, un Jean-Claude Frison impeccable dans ce contre-emploi très éloigné de ses rôles prestigieux, est timoré, dépressif, nerveux, tremblant, troublé et prêt à toutes les bassesses.
Prokofiev, Alexandre Von Sivers, a été encensé dans toutes les capitales européennes. Il n’a désormais plus rien à prouver. Il va donc tenter de résister aussi longtemps que possible.
Cette confrontation, sorte de huis clos pernicieux et horriblement retors, se révèle bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Soigneusement étayé par une solide recherche historique, le texte nous présente un Staline pervers et qui frise déjà avec la mégalomanie et la paranoïa qui l’ont fait souffler la glace et le sang dans toute la Russie les dernières années de son règne.
Avec un humour cynique et une cruelle ironie, c’est une certaine vision de la culture subventionnée, de la culture étatisée qui est montée en épingle.
Servie par quatre grandes pointures de la scène, la pièce vaut le détour rien que pour son interprétation.
Ainsi si Jacques Viala est plus qu’excellent en Jdanov, associant prestance, force et intimidation, Jean-Marie Pétiniot surprend par son peu de ressemblance avec le leader soviétique.
Pourtant, très vite ce léger flottement visuel s’efface pour laisser la place à Staline tant l’acteur réussit à lui rendre vie et âme avec une maestria exceptionnelle.
Gestuelle, tics avec le bras, persuasion du regard, de l’intonation, pleurs, panique, emportement, perversité, fragilité, Jean-Marie Pétiniot nous offre une interprétation prenante et fait oublier l’acteur pour incarner le potentat géorgien.
Si les notes s’envolent, reste un texte superbe et un bonheur rare de voir évoluer, sous la houlette de Jean-Claude idée, ce quatuor de premier plan.
Si après l’entracte certains se plaignent (avec raison ?) de quelques petites longueurs, le plaisir théâtral compensera amplement cet éventuel bémol.
Le Théâtre du Parc referme cette saison 2008-2009 en nous offrant le même plaisir théâtral qu’il l’avait entamée en nous offrant L’Aiglon
Spectacle vu le 23-04-2009
Lieu :
Théâtre Royal du Parc
Une critique signée
Muriel Hublet
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