Carte d’identité
Le passeur de mémoire aux mille collines
Une scène vide, nue de tout décor.
Quelques traits de lumière (Xavier Lauwers) suivent un homme.
Un seul, non pas vraiment.
Si Diogène Ntarindwa arpente les planches d’un pas solitaire, derrière lui, perchés sur son épaule, en pensées, en souvenirs, par les mots transmis, par les souffrances partagées, par le message à hurler, ils sont cent, ils sont des milliers.
Le comédien rwandais sera leur interprète, leurs bouches, leurs cris pour clamer au monde entier leurs récits, cachés, oubliés, déformés, écrasés par le rouleau compresseur de l’histoire avec un grand H.
L’accompagneront physiquement, par une série de transformation de la gestuelle et de la voix de l’acteur, son père, son instructeur, d’autres soldats, un présentateur radio, un gouverneur, …
Au total plus d’une quinzaine de personnages surgiront ainsi, tous différents, tous originaux, tous avec leurs convictions et leurs idées sur la situation en Afrique noire et plus particulièrement au Rwanda.
Le titre du spectacle Carte d’identité n’est pas anodin, car nous assistons à une véritable plongée dans les racines d’un homme, à la source d’un mal qui a conduit sa famille en exil, l’a enrôlé dans l’armée à 17 ans, en a fait un paria et presque un apatride.
Pendant une heure et demie, vous ferez un voyage au pays des mille collines, entendrez des faits objectifs, tous différents, pour exposer, aborder, relater, un problème ethnique, un génocide, un meurtre collectif, qui quelque soit le nom qu’on lui donne est avant tout un amas de souffrance et de corps mutilés.
Diogène Ntarindwa démontre ici, et une fois de plus, que la vérité n’est pas universelle, mais qu’au contraire elle est une hydre aux multiples visages.
Et tout comme l’animal fantastique de la légende, inutile de lui couper une tête, il lui en repoussera deux et dissemblables qui plus est.
Pour s’exprimer, l’acteur et auteur de ce texte remonte donc à la source, à sa source, à ses origines, pour nous faire percevoir son parcours.
Dur et attendrissant, touchant et saisissant, le spectacle est fait de paroles, de chants et de danses, des pleurs d’une mère et des cris des mourants, de l’excitation des uns et de la sérénité des autres, de paix et de rage, d’amour et haine, de racisme et de générosité, de révolte et d’incompréhension.
S’il est parfois un peu difficile de suivre le fil de ce récit, aussi chaotique que le parcours de l’artiste, on reste subjugué par la violence contenue derrière les mots et l’abîme d’une réalité bien concrète qu’elle dévoile à nos yeux souvent voilés par l’éloignement kilométrique ou les déformations médiatiques.
Un seul en scène où l’artiste multiplie les changements physiques et de voix avec brio et maîtrise pour offrir une vision profonde d’un pays dont la mémoire se désagrège au fil des remaniements de l’Histoire.
Diogène Ntarindwa est un passeur de mémoire, pour que jamais exil, mort et guerre ne tombe dans l’oubli bienfaisant des esprits ronronnants.
Spectacle vu le 02-06-2008
Lieu :
Théâtre de Poche
Une critique signée
Muriel Hublet
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