En signant également l’adaptation, Bernard Damien nous offre sa vision du drame d’Anton Tchekhov.
Personne n’est un second rôle, chacun a sa personnalité, ses problèmes et apporte sa petite touche à un ensemble soigneusement construit par l’auteur russe et précisé ici dans un point de vue parfois très différent de certaines autres interprétations du texte que l’impression de (re)découvrir les personnages, de les percevoir plus profonds, plus mûrs, plus réfléchis, à multiples facettes, comme plus … humains.
Derrière la romance et la désespérance, cette version fait transparaître, en filigrane bien perceptible, l’opposition entre le comportement de l’écrivain reconnu (Trigorine – impeccable Laurent Renard) qui se dévalorise face aux références littéraires en vogue et celui de Kostia Treplev, écrivaillon encore quasi méconnu qui quémande un peu de reconnaissance maternelle (Frédéric Genovese, flamme vibrante et vacillante joue l’artiste incompris, au regard idéalement exalté).
Cette adaptation fait de Nina une femme-enfant, amoureuse de la liberté et du rêve que lui laisse espérer Kostia.
Versatile, elle sera attirée par le miroir aux alouettes que représente la notoriété de Trigorine aux yeux d’une naïve provinciale.
La profondeur avec laquelle est dressé le portrait de ce dernier, un homme complexe, tout à la fois clairvoyant sur lui-même et sur les limites de son art ; conscient de l’adulation des foules, mais veule et manipulable, permet d’appréhender tout l’attrait de ce nouvel amoureux et la facilité avec laquelle la petite mouette lui a cédé.
Cette version, deux ans plus tard, transformera Nina d’enfant évaporée, fragile et versatile, en une femme mûrie, blessée et profondément lucide. Fanny Jandrain, éthérée et lumineuse dans la première partie de son rôle, n’a peut-être pas encore la maturité nécessaire pour aborder la seconde, mais semble prometteuse.
Arkadina (Jacqueline Préseau, tragédienne à souhait dans ce rôle de grande comédienne fermée au monde réel) est une mère très égoïste, imbue d’elle-même, ses seules faiblesses paraissent être son besoin d’être aimée, adulée, admirée et son affection pour son frère Sorine (Christian Ferauge).
Ce vieillard bougon se transforme ici en oncle très soucieux des dilemmes et souffrances de son neveu, tout en grommelant contre les dérives de son époque. Dans la même veine, Paulina (Chantal Pirotte) devient une femme amoureuse, frustrée et malheureuse plus qu’une potiche de figuration.
Derrière le portrait dramatique d’une fin de cycle, de l’affrontement de deux générations, de points de vue divergents sur le théâtre et sur l’art en général, Bernard Damien, dans sa conception de l’œuvre du dramaturge soviétique, nous permet de percevoir l’homme et la force des sentiments.
L’envolée romantique et passionnelle des caractères russes si exacerbés prend ici une dimension humaine palpable et agréablement démesurée à la fois.
Cette Mouette est donc une version différente, une pièce aux multiples facettes à découvrir dans sa vision humaniste, sans se laisser rebuter par le fait qu’il s’agit d’un drame classique.
Dommage de la présenter en juillet, car à coup sûr, elle aurait été bien perçue par un public scolaire trop souvent rétif à découvrir certains textes académiques.
Spectacle vu le 27-06-2008
Lieu :
Théâtre de la Flûte Enchantée
Une critique signée
Muriel Hublet
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