Ca ne se fait pas
Théâtral théâtreux
Une scène vide avec de chaque côté le public.
Voilà la première impression que l’on ressent en pénétrant dans l’Atelier (petite salle) du Théâtre des Martyrs.
Vide pas vraiment, le sol est délimité par différents repères de positions, la comédienne Cathy Grosjean est discrètement adossée au mur, le musicien Laurant Adam est occupé à dernières mises au point et la table de mixage son-lumière est glissée au premier rang parmi le public.
Le regard se porte ensuite sur un tas de tissu élimé, longtemps immobile, sous lequel se cache Alexandre von Sivers.
Lentement il va se redresser, déplier sa silhouette et égrener lentement quelques passages (en anglais) du Roi Lear, tout en parcourant la scène de long en large d’une démarche épuisée, presque laborieuse.
Le ton est à l’envi, un peu hésitant, par instant sans emphase …
Non, ça suffit ! Partez !...S’il vous plait !
L’acteur en a marre, est épuisé, a perdu le feu sacré.
Il plaque tout là au beau milieu de la représentation.
Fini le public qui s’assoupit, terminé les pseudos fans qui savent mieux que lui sa manière de jouer, rideau, l’artiste tire sa révérence.
Mais sa jeune partenaire ne l’entend pas de cette oreille.
C’est son premier grand rôle, dans un théâtre prestigieux, après des années de galère, de castings miteux et d’emplois alimentaires.
Elle va tout tenter pour faire cesser ce caprice et ramener le grand acteur, son idole sur le chemin de la raison et … des planches.
Pendant près de trois quarts d’heure ensuite, le duo va évoquer les aléas de la vie de comédien, la course au cachet, le manque d’amis, la solitude, le réchauffement planétaire, la mémoire, l’humour, …
Dans ce théâtre dans le théâtre, dans ses apartés avec un public complice, Alexandre von Sivers fait merveille entre homme perdu, attachant, qui se cherche et se perd entre les deux côtés du rideau rouge.
Avec en arrière fond la taraudante question d’où commence et où fini la comédie, de la séparation entre vie réelle et jeu scénique, de quand et être acteurs, Patrick Dieleman a écrit un texte intéressant, presque la joute intime d’un homme avec son Méphisto caché, d’un Faust qui a vendu son âme aux vestales du théâtre avec ses restes de lucidité.
Evocation des grandes références de la scène, citations célèbres, Ca ne se fait pas, sorte de théâtre dans le théâtre règle ses comptes avec lui-même, avec ses conceptions diverses, ses courants opposés et son plaisir commun.
S’il souffre de petites longueurs, il se déguste avec beaucoup de tendresse amusée face à cet humour délicat, cette autodérision de la profession.
Histoires dans une histoire avortée, remise en question publique la pièce en déroutera plus d’un de prime abord, mais le talent et la bonhomie d’Alexandre von Sivers, la complicité que les comédiens lient avec le public, le mélange de textes, de lumières et de musique fait que même si Ca ne se fait pas souvent, ça vaut plus que le détour par la Place des Martyrs.
Spectacle vu le 09-04-2008
Lieu :
Théâtre des Martyrs - Atelier
Une critique signée
Muriel Hublet
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