L’heure verticale
Un bureau et son rutilant drapeau américain, nous sommes à Yale, le rideau s’entrouvre et nous sommes dans un jardin, au pied de son arbre, assis à la table de la terrasse (une scénographie subtile de Marcos Vinals Bassols) pour un voyage à tire d’aile entre l’Université de Yale et la campagne galloise.
L’heure Verticale nous entraîne à la suite de Nadia, une jeune correspondante de guerre, qui se consacre désormais à l’enseignement.
Elle traverse l’Atlantique pour rencontrer le père de son ami.
Un face à face qui va laisser bien des traces dans le cœur et le destin de la jeune femme.
Le récit de David Hare mêle intimement la politique et les sentiments.
Nous verrons différentes prises de position, différentes opinions sur la guerre en Irak, son utilité, ses buts avoués ou pas, ses gains, ses échecs, son futur. Derrière la lancinante question fallait-il ou non l’entreprendre, derrière le droit des peuples, les tortures, les massacres, c’est la dignité humaine et ses limites acceptables ou non qui sont en jeu.
Il n’y a pas de bonnes réponses, chaque thèse se défend, chacune campe sur des avis bien arrêtés et soigneusement étayés.
David Hare ne prend pas parti, il expose, il étale différentes convictions, à chacun d’estimer le prix qu’il est prêt à payer (ou à faire payer à l’humanité) pour cela.
Le spectacle, de deux heures quinze, n’est pas seulement politique, ni excessivement complexe.
Derrière les enjeux sociétaux, se cache l’homme, le poids de son passé, l’importance des liens familiaux, ses besoins, ses aspirations, ses erreurs, ses hantises, ses espoirs.
Heureusement, si deux opinions s’affrontent, il n’y a pas vraiment de gagnant ou de perdant, les changements seront internes, un réétalonnage de sa propre échelle de valeurs plutôt que d’un point de vue politique.
Si l’opposition si franche de deux caractères si tranchés peut paraître cliché, la sensibilité secrète de Nadia (Isabelle Defossé) et d’Oliver Lucas (Jules-Henri Marchant) empêche l’ensemble de tomber dans la manipulation pure et simple pour équilibrer le récit et l’ancrer dans une perspective plus humble, moins tourmentée et plus apaisante.
Les éclairages subtils de Marcel Dewael varieront et déclineront avec le jour qui sombre comme pour rythmer confidences, aveux de faiblesse et entourer le mælström de sentiments qui va bouleverser Nadia.
Isabelle Defossé tente le délicat équilibre de la force (trop parfois) et de la fragilité, de la conviction et de la faiblesse.
Face à elle, Jules-Henri Marchant sorte de vieux soixante-huitard sur le retour nous fait hésiter entre manipulateur pervers et bonhomme serein assagi par la vie et son cortège de douleurs.
Puissance des silences, retenues des mots, sourires gênés, hésitations tout y est et si l’on se doute que certaines sont dues à l’essoufflement d’un acteur malade qui joue malgré tout pour l’amour du public et des planches, on en peut malgré tout qu’applaudir la performance, car tout n’est pas ici que hasard, il y a aussi le talent, sans oublier l’efficace et sobre mise en scène d’Adrian Brine.
Citons encore la prestation de Sébastien Dutrieu en fils pétri de haine et d’amour qui cherche vengeance, qui veut protéger son amour tout neuf et qui ne sait plus trop lui non plus où il en est.
Un spectacle intimiste et puissant qui marie admirablement l’émotion et des thèmes politiques porteurs au service duquel une belle brochette d’acteurs donne tout son talent.
Spectacle vu le 10-03-2008
Lieu :
Rideau de Bruxelles
Une critique signée
Muriel Hublet
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