Pleurez mes yeux; pleurez
C’est une vision différente du Cid que nous propose le metteur en scène Philippe Sireuil.
Comme il le dit lui-même, son souhait est de s’écarter respectueusement de l’œuvre de Corneille.
Pour dissiper toute confusion, le titre du spectacle a été transposé en Pleurez mes yeux, pleurez.
Clairement, le texte a été réécrit, tout en respectant les célèbres tirades, pour offrir une excellente fluidité et une impression de contemporanéité.
Un décor très épuré et l’utilisation de vidéo accentueront cette actualisation qui culminera avec l’apparition du Maure, sous-entendu, mais physiquement absent chez Corneille.
Un peu comme la théorie de l’effet papillon, la vision de Philippe Sireuil tente donc de démontrer l’importance et la résonnance de nos choix.
Sa mise en scène, sobre à l’extrême, ne placera jamais qu’un personnage à la fois à l’avant-plan, ce qui met en évidence la part sombre et pleine de contradiction de chacun.
Même les duos seront joués sans se regarder ou carrément en se tournant le dos.
Cette option amplifie la portée des mots et des actes et oblige chacun à s'affronter et à prendre toute la mesure de ses responsabilités.
Troublant, séduisant ou agaçant, Pleurez mes yeux, pleurez ne laissera personne de marbre.
Les spectateurs de Shakespeare is dead, get over it auront ainsi, avec raison, une impression de déjà vu devant une scénographie principalement constituée d’un immense panneau de bois, sorte d’écran pour les vidéos qui souligneront, intensifieront le récit ou serviront d’intermèdes entre les tableaux, tout comme les télévisions, occultées par des parois amovibles, proposeront en tout petit, parfois sous un angle différent (mais avec une image très nette) la même version.
Pourtant, il sera difficile de ne pas apprécier le choix des films qui sous-tendront à merveille la vision de, la beauté glacée des écus dans la salle du trône ou l’esthétique de l’épée fichée entre les planches.
Les réactions divergeront, à nouveau, face aux costumes qui font de Rodrigue (Yohann Blanc) un nazillon, de Don Diègue (Jean-Pierre Baudson) un parrain de la mafia, du roi (Anne Sylvain) une copie d’Élisabeth II, de Michel Jurowicz (Sanche et le conseiller) un ersatz de Léopold III, tandis que l’infante (rebaptisée ici Camille, jouée par Marie Lecomte) s’habille en fifties et Chimène (Edwige Baily), toute de blanc vêtue, a une allure très napoléonienne.
De même, la symbolique de la mort du père (Don Gormas - Patrick Donnay) représentée par du sang dont se maculera Chimène, mais aussi qui restera omniprésent au sol sous forme d’une tâche luisante paraîtra géniale ou un tantinet excessive.
Au niveau du jeu des acteurs, on ressentira un trouble identique .
Si certains comme Janine Godinas (la servante) ou Jean-Pierre Baudson impressionnent et portent haut et fort le texte de Corneille ; Edwige Bailly (Chimène), superbe dans sa douleur, n’a pas la pleine capacité de fournir constamment (le spectacle dure 2 h 50 auquel s’ajoute un entracte de 20 minutes) la même intensité.
De même, Marie Lecomte peine parfois à passer la rampe.
Mais la plus grande perplexité vient de Yohann Blanc dont on connaît le talent et la voix. On s’étonne de le voir apparaître par instants comme faible, avec une gestuelle hésitante et tremblotante que l’on attribuerait aisément à un benêt empoté.
Philippe Sireuil compose avec Pleurez mes yeux, pleurez un patchwork, sujet à maintes controverses, qui sera donc très différemment apprécié.
Somptueux ou déroutants, ses choix accentuent la morale et le sens des responsabilités voulus par Pierre Corneille et y instillent une notion des conséquences de nos actes.
Classiques, puristes, modernistes et esprits ouverts trouveront avec cette vision de Philippe Sireuil de quoi affuter leurs armes… verbales et s’affronteront avec délectations dans des duels intellectuels.
Si dans le Cid le combat était entre l’amour et l’honneur, qui triomphera dans Pleurez mes yeux, pleurez.
Spectacle vu le 08-01-2010
Lieu :
Théâtre National - Grande Salle
Une critique signée
Muriel Hublet
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