Mort de chien
Belle-de-jour, belle-de-nuit, belle-de-mort
Janine, prostituée, est morte, égorgée par un client de passage.
De noir vêtue, drapée dans un deuil bien plus complexe que le chagrin et la rage d’avoir vu sa collègue ainsi traitée, Mira, survivante en sursis, est figée dans l’attente d’un inéluctable destin.
Ses idées sombres sont comme une fumée de cigarette qui flotte obsédante, entêtante, insidieuse, pénétrante et rebutante.
Mira attend sa mort, elle guette la porte qui s’ouvre, le client qui entre.
Chaque nouvelle passe sera-t-elle sa dernière ?
Au fin fond d’une Flandre profonde, où le mot socialisme frise avec injure, Hugo Claus fustige les bourgeois calotins avec la verve cinglante qu’on lui connaît.
Sexe, alcool et mort valsent au rythme d’une pesante danse macabre qui opprime les âmes et coince les êtres avec une perversité déroutante.
Philippe Sireuil met en scène cette plongée dans les bas-fonds en façonnant une ambiance glauque et étouffante, nuancée d’une sorte d’aura surréaliste.
Un décor judicieusement minuscule et délibérément lugubre, des personnages noirs, des cœurs en perdition, des épaves engluées dans le marais de la vie sont ses options pour souligner ce huis clos intense, de cette semi-pièce policière.
La causticité sulfureuse d’Hugo Claus acquière, à travers le regard de Philippe Sireuil, un suintant glaçant, grinçant et troublant.
Si certains éléments paraîtront (volontairement) hermétiques, si le choix d’une vision quasi surréaliste provoquera de joyeux étonnements, on ne manquera pourtant de se laisser prendre à cette noirceur ambiante, superbement servie par de très bons comédiens.
Janine Godinas se révèle ici superbe en mère, ex-prostituée, drapée dans une expérience obtenue à grands coups de blessures et de douleurs. Altière, même avec Puma, à la main, elle domine son entourage et le plateau.
Sa fille interprétée par Valérie Bauchau se doit de jouer (avec plus ou moins de bonheur) l’ambivalence.
Elle séduit dans ses souffrances, même si certaines autres facettes semblent parfois un peu excessives (Hugo Claus oblige ?)
Philippe Jeusette, compagnon d’infortune, amoureux complice et conciliant, scribouillard paumé nous offre une interprétation sans faille tant la rage de ses révoltes que dans les silences de ses souffrances.
Bernard Sens et Simon Wauters sont les détonateurs distants et froidement manipulateurs qui vont tout faire exploser.
A chacun donc d’apprécier ce texte violent et virulent qui vitriole joyeusement les corruptions, mensonges, omissions, trivialités et autres laxismes qui émaillent notre quotidien.
Si le temps a passé depuis qu’Hugo Claus a rédigé Mort de chien, le propos, lui en est tristement resté immuable.
Spectacle vu le 26-04-2009
Lieu :
Rideau de Bruxelles
Une critique signée
Muriel Hublet
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