Femme non rééducable
Sur un plateau dénudé, les mots d’Anna Politkovskaia deviennent l’objet de toutes les attentions.
Journaliste russe, assassinée en octobre 2006, elle a été un des porte-drapeaux des dénonciations des dérives de guerre de Tchétchénie.
Jamais, elle n’a voulu tremper sa plume dans un autre encrier que celui de la vérité.
Le texte de Stefano Massini s’est inspiré des articles, des pamphlets et des différentes notes retrouvées après la disparition tragique de leur auteur.
Michel Bernard a opté pour une mise en scène épurée, centrée sur la force des mots et la portée des idées.
Le plateau nu se pare des lumières de Xavier Lauwers et du décor sonore de Jean-Christophe Potvin et Pierre Jacqmin pour devenir l’écrin ou le mégaphone des cris, des colères et des révoltes d’Anna Politkovskaia.
L’œil ne sera pas agressé par des photos-chocs, des tableaux de torture, des vidéos sanguinolentes, des visions de charniers ou de corps déchiquetés.
Chacun se recréera, au fil du récit, ses propres images, appréhendera à sa manière la prise d’otage de Beslan en 2004 ou ressentira différemment la faim et la peur qui règnent dans un Grozny aux mains de l’armée russe.
Sur le plateau, de jeunes acteurs, muets, se déplacent sans cesse et entourent Angelo Bison et Frederik Lars Haùgness, qui, de la voix et du geste, nous font percevoir les révoltes d’une femme, d’une mère, d’une Russe, d’une journaliste pour qui la vérité n’avait pas de pris et que quelques balles tirées lâchement dans un recoin d’ascenseur ont réduites au silence.
Impossible de résister à l’ironie incisive d’Angelo Bison qui épingle tous les incohérents comportements d’un état despotique ni de ne pas s’indigner à l’unisson de Frederik Haùgness quand il dénonce rageusement les dérives et les abjections d’une quasi-extermination ethnique.
Si l’on ne peut qu’être subjugué par la performance des deux comédiens, on restera quelque peu perplexe fasse à ce choix scénique, déroutant de prime abord,  qui s’apparente à un ballet moderne.  Quoi qu’il en soit, très vite, l’attention se focalise sur le texte, sur les mots d’Anna Politkovskaia et c’est là le primordial.

Non rééducable, sans être sentencieux, indigeste ou plombant, fait comprendre à chacun que les médias ont tous les pouvoirs : révéler, exposer, dénoncer, pousser à la réflexion, mais qu’ils peuvent être aussi muselés, manipulés, manipulateurs ou complices.
Au-delà de la performance d’Angelo Bison et Frederik Haùgness, si, grâce à ce spectacle, chaque spectateur prend conscience des limites et la force de la presse et des journalistes, la mémoire d’Anna Politkovskaia restera un exemple pour tous.

Spectacle vu le 27-04-2010
Lieu : Théâtre Marni
Une critique signée Muriel Hublet

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