L'échange
Amour, argent, puissance … amère sera la chute
Pour l’amour de Louis, Marthe a tout quitté pour lui, pays comme famille.
Lui, le métis, le déraciné est plus ambivalent.
Instable, il est difficilement capable de faire face aux contingences du quotidien.
Son esprit bouillonnant s’évade sans cesse de cette vie paisible, modeste, banale.
Coincé entre terre et mer (une astucieuse scénographie de Philippe Hekkers) il rêve de larguer les amarres, de découvrir d’autres horizons.
S’il aime sa compagne, il la perçoit cependant comme une ancre qui le rive à la réalité, qui empêche le bateau de voguer.
Quand surviennent Thomas Pollock Nageoire, l’agent de change, et Lechy Elbernon, sulfureuse actrice, l’univers de Louis bascule.
L’argent facile et les mirages que font miroiter ces deux prédateurs vont le tenter.
Très vite, il sera subjugué par ces séduisantes sirènes.
D’abord, il acceptera d’échanger son amie contre une liasse de dollars ensuite, il se laissera prendre dans les filets d’une tentatrice, manipulatrice.
Fragile esquif, il sera malmené par ces flots impétueux.
La langue complexe et poétique de Claudel oppose deux mondes, deux visions de la vie.
Comme une tempête tropicale, elle secoue chacun des protagonistes.
Virulente, forte et multiple, elle soulève chacun, le pousse dans ses derniers retranchements pour en extraire leur vérité, leur intimité.
Intense et jubilatoire, elle subjugue et interpelle et même si on n’en perçoit pas d’emblée toute la portée ou toutes les nuances, sa pertinence, sa causticité, sa virulence et la douleur qui émane de ce quatuor profondément humain toucheront les coeurs.
On appréciera le jeu volontairement expressif de Muriel Jacobs (Lechy), en permanence à la limite (maitrisée) du surjeu.
Elle a l’emphase de ces grandes tragédiennes, sans cesse en représentation et qui ici, profite sans vergogne de la naïveté de son unique spectateur Louis.
Idwig Stéphane (Thomas) plus discret ne manque pas de justesse et fait transparaître derrière l’insolente fortune un homme de valeur.
Itsik Elbaz est un formidable Louis.
Faiblesse, doutes, hésitations, tout se dégage sur son visage et dans ses gestes, le laissant pantelant et chancelant entre fantasme sexuel, fidélité et appât du gain.
Anne-Pascale Clairembourg transcende littéralement le personnage de Marthe.
Éternelle amoureuse, femme enceinte et rejetée, elle représente la raison, un solide ancrage, le havre de paix qui va tenter Thomas et que va dédaigner Louis.
La mise en scène d’Elvire Brison en apparence très simple et pourtant fruit d’un minutieux travail, met à merveille en avant la profondeur des personnages, leurs questions et contradictions.
S’il ne lui est pas toujours facile d’évacuer totalement la complexité poétique du texte de Claudel (mais peu y sont parvenus), elle dirige efficacement ses comédiens ce qui permet au spectateur d’en capter les émotions, la sensibilité et la beauté.
Et un tel jeu scénique, on ne peut que l’applaudir.
Spectacle vu le 13-11-2010
Lieu :
Théâtre des Martyrs - Atelier
Une critique signée
Muriel Hublet
Imprimer cette page
Enregistrer cette page sous format PDF