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Le Pain dur
Le Pain durLe Pain dur de Paul Claudel est la pièce centrale d’une trilogie avec L'Otage (1911) et Le Père humilié (1920).
Elle retrace la saga d’une famille française, les Coûfontaine.
L’auteur situe son récit sous le roi bourgeois Louis-Philippe, en pleine conquête de l’Algérie et de l’essor du chemin de fer.
Époque de bouleversements, le modernisme et le progrès deviennent les deux moteurs de la France.
Le patriarche Toussaint Turelure de Coûfontaine l’a bien compris.
La cupidité est son vice et il manipule son entourage à l’affût du moindre franc, de la plus infime position stratégique ou reconnaissance de ses pairs.
Noble et homme politique influent, il n’a pas hésité à acculer à la ruine son propre fils pour garder sous sa coupe les biens de sa défunte épouse.

Manipulateur égoïste, il a pour maîtresse Sichel qui côté avidité n’a rien à lui envier.
Seules ses origines juives et l’impression d’être partout un paria semblent peser sur les épaules de cette dernière.
L’arrivée de Lumir, patriote polonaise et fiancée de Louis le fils prodigue, va perturber cet ordonnancement bien confortable.
La jeune passionaria veut récupérer l’argent qu’elle a prêté à son amant et qui appartient aux révolutionnaires de son pays.
Toussaint Turelure de Coûfontaine s’y refuse et une machination s’ourdit entre les deux femmes.
Elles projettent, par personne interposée naturellement, le meurtre de l’empêcheur de profiter en paix.
Le spadassin sera Louis, rappelé en hâte de ses terres de Mitidja, aux portes d'Alger.
La tragédie familiale peut éclater, tous les ingrédients sont en place.
Mais par delà celle-ci Claudel fustige le mercantilisme forcené, le matérialisme à outrance et une vie de plus en plus sans foi ni loi.Le Pain dur
Il situe ainsi son récit dans un ancien monastère destiné à devenir une usine à papier ou place, très symboliquement, au cœur du décor, un énorme crucifix.
Apologie de notre époque où trop souvent on ressent l’amère impression de voir nos principales valeurs bafouées, Le pain dur reste interpellant.

Reste que la langue de Claudel risque de paraître un peu ardue à certains et que la durée (2h15) en rebutera d’autres.
Mais il serait dommage de faire l’impasse sur cette pièce.
Outre le fait que Claudel se fasse rare sur nos planches, le travail de mise en scène d’Agathe Alexis et Alain Barsacq lui insuffle une certaine intemporalité, renforcée par le décor de Christian Boulicaut, très sobre et dans les tons gris rendant parfaitement cet esprit plombé de fin d’époque et de désespérance.
Si on y retrouve de grandes envolées tragiques (respectueuses du texte de l’auteur), les deux metteurs en scène ont réussi à distiller pas mal d’humour dans le jeu des comédiens.  Comportement, tenues et gestuelles, tout concourt à amplifier le côté un peu grotesque ou exagéré des protagonistes.
La direction d’acteurs attentive nous a ainsi permis d’assister à quelques beaux moments.
Impossible, par exemple, de passer sous silence le maintien immobile d’Hervé van der Meulen, qui mort reste sans bouger dans une position inconfortable pendant de longues minutes, sa prestation d’amant éperdu est elle aussi intéressante.
Agathe Alexis (Sichel) séduit dans ce rôle ambigu de rusée reprouvée.
Tatiana Stepantchenko en Lumir est tout en justesse et en finesse.
Si elle perd par instant son accent polonais, on lui reprochera peut-être la grandiloquence tragédienne de sa crise de patriotisme.
Robert Bouvier (Louis) est veule à souhait et même tout manipulé qu’il soit par les deux femmes, difficile d’en avoir pitié.
Georges Goubert (Ali Habenitchs) est impeccable de bout en bout dans son rôle de père et d’usurier.
Discret en Mortdefroid, Grégory Fernandes s’illustre aussi dans l’espèce de ballet dansé qui sert de changement de tableaux et de décors.
On ne peut que conseiller cette vision du Pain dur à tous les amateurs de Claudel.

Spectacle vu le 12-08-2011
Lieu : Festival Royal de Spa (Salon Gris)

Une critique signée Muriel Hublet

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