La vie devant soi
Itsik Elbaz, en se glissant dans le corps dégingandé de Momo, nous narre les jeunes années de Mohamed, un musulman, un fils de pute (dans le sens réaliste et non injurieux du terme) confié en catimini à Mme Rosa pour lui éviter de finir à l’Assistance publique, destin réservé normalement aux enfants de prostituées, d’office déchues, par leur profession, de tout droit maternel.
Sa magnifique prestation est telle qu’il nous fait oublier son âge, il est purement et simplement ce gamin trop vite grandi, qui s’est écorché l’âme aux duretés de la vie, qui cherche l’amour et la sécurité.
Son ancrage, le seul élément stable de sa courte existence est Mme Rosa, une vieille juive (superbement interprétée par une Janine Godinas bluffante d’humour, de tendresse et de fragilité.Rescapée du camp d’Auschwitz, elle n’a plus que deux craintes : le cancer et Adolf Hitler.
Entre la solitaire bourrue et l’enfant abandonné, une tendre relation affectueuse s’est tissée au fil des années.
Pour l’ex-pute, trop vieille pour se défendre avec son cul, pour la femme qui, par respect pour ses gamins de races et de confessions différentes, a caché dans la cave son trou juif et son besoin intime d’identité, Momo est le dernier gosse qu’elle ne gardera jamais, son dernier rempart avant l’oubli éternel.
Altruiste et retorse, ses réflexions sur les similitudes des religions, sur la vie, sur la mort et sur l’amour sonnent frappées d’un bon sens tout simple, qui vient droit du cœur.
On reçoit ses mots comme des vérités, on sourit de ces affirmations naïves et si profondes.
Derrière son pas alourdi par les ans et son essoufflement chronique, des yeux pétillants et alertes sont le reflet d’une femme courageuse et pugnace, qui masque soigneusement ses fragilités, ses fêlures et ses angoisses.
Loin d’être une tragédie, La vie devant soi est une pièce forte, puissante, prenante et résolument moderne dans sa tolérance et son antiracisme.
Si on ne peut qu’apprécier l’adaptation de Xavier Jaillard, force est surtout d’applaudir le talent et la complicité scénique de Janine Godinas et Itsik Elbaz qui, dans cette mise en scène intelligente et très humainement respectueuse de Michel Kacenelenbogen, explosent littéralement.
Au chapitre des bravos, n’oublions pas la prestation impeccable de Benoît Van Dorslaer (bon docteur Katz), la scénographie astucieuse de Delphine Coërs et les musiques de Pascal Charpentier et les clairs-obscurs de Maximilien Westerlinck.
Entre rires et larmes, entre humour et tragédie, La vie devant soi est un appel à l’amour et à la tolérance.
Publié en 1975, le roman garde toute sa fraîcheur et sa poésie même s’il parle d’une vie de misère et d’enfants en mal d’amour.
Et s’il ne fallait n’en retenir qu’une chose que ce soit les derniers mots de Momo :
On ne peut pas vivre sans quelqu'un à aimer.
… Il faut aimer
Spectacle vu le 17-09-2011
Lieu :
Théâtre Le Public - Voûtes
Une critique signée
Muriel Hublet
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