L'écume des jours
Boris Vian est devenu, post-mortem, un incontournable de la littérature française.
Son roman, L’écume des jours, a marqué plus d’une génération et touche encore les ados d’aujourd’hui.
Qui n’a pas gardé dans un coin de sa mémoire le souvenir du piano-cocktails, du nénuphar, de Jean-Sol Partre ou la petite souris grise ?
Qui ne se souvient pas de cet univers poétique et si déroutant, de ce monde où l’auteur détourne avec brio les objets et les sentiments, de cet absurde qui fait d’un quotidien banal un récit de toute beauté ?
Qui aurait imaginé en voir l’adaptation théâtrale ?
S’il n’est pas le premier à s’y risquer, Emmanuel Dekoninck, après le formidable Peter Pan, promet de titiller avec succès notre imaginaire.
Avec la complicité de Roland Beurms à la scénographie, il crée de toutes pièces un décor mobile (manipulé à vue par les comédiens), délicieusement kitch, voire carrément loufoque, qui permettra de suivre l’action de lieu en lieu, mais qui se révèlera également être une merveilleuse machine à voyager dans la fantaisie de Vian.
Emmanuel Dekoninck a volontairement extrait de L’écume des jours tout l’humour, l’incongru, les jeux de mots croustillants, les situations drolatiques et rieuses.
Il nous propose une rêverie poétique et jouissive qu’il met en parallèle avec la satire virulente du monde du travail, de la religion, du star-system…
Sur scène, les neuf comédiens (AntojO, Marie du Bled, Fanny Dumont, Michelangelo Marchese, Gilles Masson, Violette Pallaro, Nancy Philippot, Aurélien Ringelheim et Julien Vargas) se donnent à fond avec complicité et générosité pour soutenir et renforcer la vision savoureuse, ludique, ironique et jubilatoire concoctée par Emmanuel Dekoninck.
S’il est impossible de ne pas y adhérer ou de ne pas être séduit par celle-ci, les esprits chagrins et les inconditionnels de l’œuvre de Vian seront un tantinet plus réservés.
Quand les lumières se rallument, quand meurt l’écho des salves d’applaudissements, quand se relèvent les strapontins, L’écume des jours, celle du roman revient en mémoire et chacun y va de son souvenir, de son petit bémol, de ce qui lui a manqué.
Ainsi, le jazz et Duke Ellington, si chers à Boris Vian sont remplacé par David Bowie, Queen et autre A Whiter Shade of Pale de Procol Harum.
De même, le côté amer et sombre, la tristesse ambiante, la virulence de la satire politique et humaine semblent moins présents.
Vian dit, dans son avant-propos, L'histoire est entièrement vraie puisque je l'ai inventée d'un bout à l'autre.
Emmanuel Dekoninck s’est approprié avec brio le sens de cette phrase.
Il nous recrée d’un bout à l’autre l’histoire vraie de Vian, telle qu’il l’a perçue, avec sa folie douce et, son ton décalé et décousu, son aspect délirant et son absurde drôlerie.
Il explore toutes les facettes de Vian, certaines plus que d’autres, avec tant d’énergie et d’imagination qu’il nous propose un spectacle réussi et multiforme (chant, danse, patinage, mime, jeux d’ombres, acrobaties…).
Ne ratez donc pas ce rendez-vous avec Vian, son humour caustique et décapant et sa vision lucide d’un monde en pleine crise d’absurdie.
Spectacle vu le 13-09-2011
Lieu :
Atelier 210
Une critique signée
Muriel Hublet
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