King Lear 2.0
Elle a quitté sa terre natale.
Elle a laissé derrière l’enfance et son père, telle une adolescente révoltée qui reproche à son géniteur toutes les compromissions que la jeunesse ne peut comprendre et encore moins admettre.
Des liens épistolaires se sont pourtant maintenus survolant les kilomètres, malgré les années.
Mais depuis peu, aucune nouvelle ne lui parvient de ce pays en pleine guerre civile, en rébellion désormais mâtée par une force d’intervention étrangère.
Munie de faux papiers, elle va franchir la frontière et essayer de le retrouver.
Et Le Roi Lear là-dedans, me direz-vous ?
Il semble bien loin de là, mais uniquement en apparence.
Surtout dès qu’on apprend que la jeune femme est la fille du bouffon de Lear.
Jean-Marie Piemme nous offre un texte très librement inspiré de Shakespeare.
Si les bases du classique sont toujours bien présentes, cette sorte de relecture nous propose une vision plus moderne, avec de multiples références à notre actualité (Berlusconi, avion, lifting, Bodyguard…), le drame shakespearien prend ici un relief plus proche, très contemporain et réactualise avec un réalisme cruel ces jeux de pouvoirs, d’honneur et puissance, des tractations et autres mégotages de bas étage qui conduiront à la ruine à la folie et à la mort pour des bribes de … vent ?
Le propos est vitriolé, cru, caustique, sans fards, sans gants et sans concession, n’hésitant guère devant une comparaison percutante ou le moindre mot électrochoc pour mieux marquer l’esprit du public.
Formidable, la jeune Hollandaise, Berdine Nusselder porte avec force et conviction ce rôle de jeune revendicatrice, en quête de réponses et de vérité. Absolue dans sa rage vomitive, violente, venimeuse, elle s’élève avec toute la fougue de sa jeunesse contre toute la stupidité et l’injustice d’une telle situation.
La mise en scène de Raven Rüell la maintient en permanence dans cette tonalité vindicative, colérique, dans ce comportement engagé, halluciné, entier, brutal.
Si celui-ci se justifie par instants, il est peut-être un peu dommage d’orienter toute la pièce dans ce registre, de ne pas laisser plus de place à l’émotion pure, aux silences et aux nuances.
Les mots de Piemme en perdent une partie de leur substance, noyé qu’il est dans le bruit et dans la fureur.
Malgré ces bémols, la prestation de Berdine Nusselder reste impressionnante, le travail scénique a un superbe rendu visuel (surtout la scène se référant à Electre dont on se demande encore la raison) et le texte de Jean-Marie Piemme est un petit bijou de satire politico-familiale.
Spectacle vu le 24-01-2013
Lieu :
Théâtre Les Tanneurs
Une critique signée
Muriel Hublet
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