Éternelle et passionnelle
Une scène vide, aux coulisses apparentes, aux spots visibles, avec pour tout ornement un ciel d’orage et une cloison à roulettes (scénographie de Vincent Bresmal).
Victor Hugo semble avoir été sévèrement épuré.
Drastiquement non, intelligemment et sensiblement oui.
Fi donc des falbalas et lourds décors, Frédéric Dusenne nous plonge droit au cœur du drame.
Derrière la puissance des mots du grand auteur, il a choisi de laisser la place au jeu des comédiens, à l’impression, aux perceptions plutôt qu’au pensant décorum classique.
Brocards et dentelles sont devenus pantalons de cuir noir, masque de carnaval lunettes de soleil, tenue royale strict complet-veston foncé (costumes de Lionel Lesire).
Visuellement moderne, Lucrèce Borgia n’a pas pris une ride, ni perdu une virgule en intensité.
Le drame intime d’une femme (Valérie Bauchau) écartelée entre son amour pour son enfant secret et sa vie de courtisane sanguinaire au passé accablant et glauque, tout à la fois manipulatrice, séductrice, victime et criminelle.
En face d’elle, Gennaro (Juan Martinez) un fils qui idolâtre sa mère inconnue, qui lui invente une réalité douloureuse et vertueuse et qui hait tout ce que représente les Borgia.
Troisième pointe du triangle son époux Alphonse, duc de Ferrare (Philippe Jeusette), mari aimant et jaloux, prêt à tout pour se venger des amants de sa douce moitié.
Obscurci par cette jalousie incontrôlable, il assimile Gennaro à un rival potentiel.
Derrière ce trio dramatique, Gubetta (Rachid Benboutcha, dégoulinant à souhait de servilité cruelle) l’âme damnée de Lucrèce ourdi complots et vengeance.
S’il n’y a aucune vérité historique dans le récit de Victor Hugo, elle est pourtant un sentiment fort, intense, extrême même, dans le jeu convainquant des comédiens principaux.
L’intensité douloureuse de la mère éplorée, les blessures d’une femme bafouées de Valérie Bauchau (moins crédible en revancharde colérique et meurtrière) s’opposent avec brio à l’imposante prestance de Philippe Jeusette, à ses colères et son machiavélisme.
La fragilité d’une âme d’enfant se bat, en un combat intime, à la fougue de la jeunesse et un sens aigu de l’honneur dans le coeur de Gennaro servi par un Juan Martinez, troublé, faible à souhait et attachant par la force de son regard noir.
Autour d’eux, cinq jeunes acteurs (Alan Bourgeois, François Delcambre, Simon Gauthier, Pierre Haezaert et Pierre Verplancken) sont tout à la fois le chœur des complaintes et de reproches envers les Borgia, les récitants historiques qui permettent de mieux comprendre toute la portée du drame.
Ils sont aussi un véritable souffle de vie, de gaîté et de rires dans leur comportement de joyeux drilles, de fêtards et de fanfarons.
Dans une simplicité apparente, les choix de Frédéric Dusenne font de ce spectacle celui de cœurs écorchés à vif, de personnages complexes et de passions exacerbées.
Éternelle et passionnelle, Lucrèce séduit décidément toujours.
Muriel Hublet
Spectacle vu le 16-08-2008
Festival Royal de Théâtre de Spa
Présentation du spectacle :
Résumé :
Plongez au cœur du 16ème siècle entre les canaux de Venise et les ruelles de Ferrare, dans un défilé de gondoles, de personnages masqués, de chevaliers servant la cause de la République ou celle des plus vils traîtres.
L'affiche :
De : Victor Hugo
Avec Valérie Bauchau, Rachid Benbouchta, Alan Bourgeois, François Delcambre, Simon Gauthier, Pierre Haezaert, Philippe Jeusette, Juan Martinez, Pierre Verplancken
Mise en scène : Frédéric Dussenne
Les prochaines représentations :
L'avis de Deashelle
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